« La photo porte la mention : Colette. 12, hameau du Danube. Quand le jour se prolonge jusqu’à dix heures du soir, à cause de l’heure d’été, et que le bruit de la circulation s’est tu, j’ai l’illusion qu’il suffirait que je retourne dans les quartiers lointains pour retrouver ceux que j’ai perdus et qui sont demeurés là-bas : hameau du Danube, poterne des Peupliers ou rue du Bois-des-Caures. Elle s’appuie du dos contre la porte d’entrée d’un pavillon, les mains dans les poches de son imperméable. Chaque fois que je regarde cette photo, j’éprouve une sensation douloureuse. Le matin, vous essayez de vous rappeler le rêve de la nuit, et il ne vous en reste que des lambeaux que vous voudriez rassembler mais qui se volatilisent. Moi, j’ai connu cette femme dans une autre vie et je fais des efforts pour m’en souvenir. Un jour, peut-être, parviendrai-je à briser cette couche de silence et d’amnésie. »
Chien de Printemps, Seuil éd, 1993, p. 42-43