Oui, nous pouvons prédire un bel avenir posthume à certains artistes de génie, le plus difficile consiste à s'asseoir et à attendre, à raturer, à déchirer, à recommencer... nous déplorons l'inachevé, or une gloire n'est pas dépourvue de fondement. On dit que les voyages forment la jeunesse... Bien sûr ! Les artistes aussi, d'ailleurs, qui acquièrent ainsi le goût de l'universel. Mais le goût pour l'ouvrage bien fait ? L'amour de l'artiste pour son art ? La patience de celui qui écrit n'a pas honte de suivre le conseil "vingt fois sur le métier..."
on peut craindre par là de ne pas donner la pleine mesure de son talent, qui est très grand, ou du moins qu’il s’interdise l’œuvre, à force de se défiler dans le temps; pour l’instant, nous pouvons lui ouvrir un très large crédit; les mêmes défauts, quelques fois voulus par l’artiste, le style lui-même, fatalement, compte encore sur son avenir. Et, ce que nous déplorons de bâclé, dans un premier temps, n’a rien à craindre du travail et de ses dons naturels, à la condition de savoir créer des Hommes complets, parce que le mal dans l’Homme, nous savons qu’il existe, mais simultanément nous savons aussi percevoir, dans le cœur de l’Homme déchu, la nostalgie de la créature crée par Dieu, faite pour la lumière « il fut bon », « il nous a aimé », tournée, hélas, volontairement vers les ténèbres, mais tout de même consciente de son destin éternel et souffrant de sa misère. Ainsi, l’art sauve; voilà un point sur lequel nous sommes bien d’accord !
Et voilà, en somme, pourquoi nous comptons encore sur son avenir; nous comptons encore sur lui, aussi, surtout, pour le plus grand nombre; la politique étant aux antipodes de l'art, ce qui nous reste, c'est l'Histoire; c'est le palpable, et... ce qui ne comporte pas de leçons. C'est pourquoi nous n'avons jamais pu être communistes, ni appartenir vraiment à aucun parti; nous sommes des orphelins de.. tout de même, nous allons voter ! Engagés ? Même si nous avions encore foi en la légende, la politique replonge sans cesse l'Humanité dans le même foetus, comme pour un nouveau sommeil. Et, à toutes les taupes claustrophobes, l'Homme renfrogné, jeune-vieux garçon, est bien dans ses pantoufles. Celui-là même refusant les temps modernes étends désormais son pouvoir sur l'universel, sur lui-même, incurablement seul; sait-il faire contrepoids ? Sait-il cet art salvateur pour nos Lumières, capable d'inventer un nouveau lexique, de faire naître et renaître; celui qui n'abuse personne, mais dont nous entendons "à la mort" ! Si nous savions prendre le temps, ces interdits assassinés d'avance par la horde des fanatiques, - ceux d'hier et d'aujourd'hui, les même que ceux de demain, mais en plus grand nombre -, nous pourrions très certainement en rire; or, le sens de l'oeuvre, c'est aussi le sens de l'Homme.À vrai dire, nous sentons, en ce moment, et depuis un certain temps déjà, comme une finalité, comme une fin, mais quoi, exactement, mes braves ? Comme bien des artistes, et parmi les meilleurs, il y a de la sagesse à penser que nous sommes rendus à la fin d'un cycle; comme un mal de ventre... cela n'est pas sans raison. Toutefois, pourquoi se priver d'une lecture rafraîchissante, comme une belle grosse femme ronde et en santé, mes enfants, mes braves... il faut suer; moi-même, depuis mes débuts en littérature, et après un certificat universitaire en histoire littéraire, un autre en journalisme, puis un baccalauréat en études françaises, un autre en enseignement, puis une propédeutique, dans ce continuum... l'esprit de Dieu, je suppose, vint me dire que pour désigner les choses nouvelles, il faut employer des mots nouveaux; très classique * un bel enseignement, une rhétorique, un "docere delectare", avec plein de clins d'oeil aux lecteurs impossibles; impossibles et magnifiques. Ainsi, ce livre aurait pu être écrit il y a vingt ans, mais je n'ai pas eu le courage de me lancer à fond; je n'ai jamais touché à la poésie de certains talents prodigieux; bref, j'étais un écrivain mineur et j'étais un étudiant mineur, c'est-à-dire que le plaisir pour moi était d'imaginer, puis d'exercer mon esprit à voir plus loin que ce qui s'offre à nos yeux, comme toutes ces choses en dessous des autres choses tangibles, par exemple la bien-aimée forêt de symboles, et puis, aussi, de raconter, dedans, des histoires. En ce sens, les livres, parfois, se font-ils tout seuls ? ... allez savoir ! La langue parlée empêche parfois de bien comprendre le sens de ce qui est dit. Quoi qu'il en soit, nous nous sentons plus près de La Fontaine que de Corneille. Cependant, l'Homme fascine l'homme, et le libraire très tranquille, celui qui a déjà été froissé par tous ces aveugles volontaires, par tant de méprises... le temps n'est plus à s'inquiéter, même moi j'avais été victime de ce jugement de la part d'une buse littéraire qui prétendait l'oeuvre dévalorisée d'avance "par ses graves défauts de style"; c'est comme pour cet artiste de génie qui est resté presque inconnu, honteusement méconnu....Et la méprise dure encore. Méconnu, oui, mais, pas tout à fait; ses première œuvre, il les a créées à 14 ans, mais il a détruit tout cela. Avant de partir pour Lyon, pour étudier les Beaux-Arts, comme il se doit, puis vers l’Angleterre, en 1938, en visite chez ses parents, à Saint-Raphaël. C’est aussi ce que je fis moi-même, plusieurs années plus tard : j’ai brûlé tous mes manuscrits. Ma mère n’était pas très contente car ça salissait la cheminée du foyer. Ensuite, quand j’ai découvert l’exquise douceur d’un soir, seule dans ma chambre, j’ai pu alors m’adonner, à l’aide de « ma bible », - le livre d’or – l’Anthologie de la poésie du 19ième siècle, au début de mon roman; mais, je n’ai jamais reçu de pension d’écrivain, encore moins de résidence d’artiste. D’entrée de jeu, il est donc remarquable de constater un certain déterminisme. On est ainsi frappés par l’originalité de ces tournures, comme si le ruisseau retrouvait toujours la mer, comme si la cabane retrouvait toujours l’Homme. Elle me fait penser à l’histoire de cet Esquimau perdu, tout à fait perdu, dans un immense désert de glace, avec son compagnon; il lui disait : « nous sommes perdus ! Nous ne retrouverons jamais l’igloo ! « L’Esquimau répondit : « ce n’est pas nous qui sommes perdus; l’igloo est perdu ». Ainsi, lorsque la cabane retrouve l’Homme, nous reconnaissons d’emblée notre plein état primitif, ou, si vous préférez, c’est la notion de la primauté de l’objet sur l’Homme, commune à tous les hommes : une forme de langage naturel, loin des visions rase-mottes. Bref, tout ça pour dire que l’art ne s’égare jamais.