" En sortant de l'Élysée [le 8 avril 2013], Michel Rocard résume d'une phrase la situation : "C'est effrayant !". Nous venons de passer deux heures avec le principal conseiller économique du Président de la République. Au terme de ces deux heures de travail en commun, Emmanuel Macron lâche : "J'ai l'impression qu'on fait une politique des années 1980. Une politique qui aurait pu marcher il y a trente ans". Et quand nous lui demandons pourquoi continuer cette politique, quand Michel Rocard, à trois reprises, propose que nous rencontrions ensemble François Hollande pour lui montrer qu'une autre stratégie est nécessaire et qu'elle est tout à fait crédible aussi bien économiquement et politiquement, Macron botte en touche et répond tristement : "On ne change pas un homme". " (Pierre Larrouturou, dans "La Grande Trahison", publié le 7 mai 2014).
Ce que disait Michel Rocard il y a trois ans reste encore d'actualité. François Hollande n'a rien compris à l'économie du pays. La seule différence, c'est que son conseiller économique en question est maintenant le Ministre de l'Économie.
La France marche vraiment sur la tête ! Pénurie de carburant pour cause de blocage des raffineries, fermeture de centrales nucléaires, grèves illimitées à la SNCF, à la RATP, dans les aéroports, les ports, barrages de routiers, interruption de la diffusion de certains journaux quotidiens (sauf "L'Humanité" qui publie ce jeudi 26 mai 2016 une tribune de Philippe Martinez !), ce qui va accélérer la numérisation de la presse, etc. Le pays est en plein état d'urgence et en alerte maximale avec des risques énormes d'attentat depuis le 13 novembre 2015, le chômage est massif et touche une dizaine de millions de personnes, et on continue à se taper sur les pieds comme s'il n'y avait pas d'autres préoccupations.
Le destin de Jean-Baptiste Lully est sans doute symptomatique du destin de la France. Compositeur de génie, surintendant de la musique de Louis XIV, Lully est mort à 54 ans le 22 mars 1687 d'une manière assez stupide. Il faisait répéter le "Te Deum" pour la guérison du roi mais comme il trouvait les musiciens peu satisfaisants, il a piqué une grosse colère et s'est blessé l'orteil avec son lourd bâton de direction qu'il a frappé contre son pied (une canne en fait). Son pied puis sa jambe se sont infectés, mais il refusa l'amputation car il se disait danseur et un danseur ne pouvait danser sur une seule jambe. La gangrène se diffusa progressivement dans tout le corps et il en est mort. Musicien génial, colérique, se tapant sur lui, entêté et finalement, se tuant lui-même involontairement...
On pourrait vraiment y voir un signe de la France et du peuple français.
La France est pourtant un pays d'excellence. Excellence scientifique, excellence technologique, mais aussi excellence philosophique. La France des Lumières et la France d'Airbus, du TGV, d'Ariane Espace... On ne voudrait montrer que le luxe et le tourisme. Les Français, malgré cette excellence qu'ils sous-estiment, ne croient pas en eux, ne croient pas en leurs capacités d'entrer dans la compétition mondiale par la grande porte.
On retrouve la même préoccupation dans la recherche scientifique : chercheurs de très haut niveau (parmi le début du classement en Prix Nobel), mais valorisation très faible, carence en brevets aussi. Le passage de la paillasse au projet d'entreprise est trop rare, trop mal intégré dans la culture nationale. C'est le véritable défaut de la France. Peut-être est-ce en rapport avec le tabou de l'argent ?
Car en France, on raisonne encore comme au XIX e siècle, on pense l'économie comme si la production allait nécessairement entraîner des ventes et de l'emploi. On est encore keynésien. Alors que le problème, aujourd'hui, c'est qu'un jour d'activité en plus ne signifie pas un jour de chiffre d'affaire en plus. Au contraire, cela peut même être des frais supplémentaires, de stockage, de main d'œuvre etc. sans avoir plus de clients.
La France n'a pas la culture d'entreprise, la culture du risque, la culture de l'expérience. Car même une expérience ratée est une expérience qui sert pour la suite, qui apporte son lot d'enseignements pour faire mieux ensuite. Le perfectionnisme empêche toute initiative. Et la bureaucratie la noie quand elle est parvenue à se développer malgré tout. Or, on pense, dirigeants comme administrés (contribuables, électeurs, etc.) que l'entreprise est toute puissante et peut tout, a des fonds illimités et que la compétition internationale ne serait qu'une lubie de méchants patrons qui en voudraient à leurs employés.
On marche sur la tête car le projet de loi El-Khomri, censé réformer le code du travail et devenu une "coquille vide", n'est plus qu'un signal, qu'une posture politique. On n'a jamais pris de décisions économiques raisonnablement. On a toujours pris des décisions politiciennes, des décisions à objectif purement électoraliste. Sans penser aux demandeurs d'emploi, sans penser aux personnes qui plongent dans la précarité, dans la pauvreté de plus en plus répandue.
Ce projet de loi vient d'être adopté sans discussion et sans vote en première lecture à l'Assemblée Nationale après l'utilisation du 49-3 annoncé le 10 mai 2016. La motion de censure déposée par l'opposition n'a recueilli le 12 mai 2016 que 246 votes sur les 288 nécessaires pour renverser le gouvernement. Les députés PS dits "frondeurs" sont autant frondeurs que moi, je suis la reine d'Angleterre, puisqu'ils ne voteraient jamais de motion de censure malgré leur opposition à la politique du gouvernement issu de leur propre parti (mais pourquoi restent-ils au PS ?).
Le gouvernement se frotte les mains. Les députés socialistes aussi. D'une part, ces derniers n'auront donc pas à justifier devant leurs électeurs un vote en faveur du projet, puisqu'il passe sans vote. D'autre part, le gouvernement attend avec délectation le projet retravaillé par le Sénat : l'opposition LR et UDI devrait en effet proposer un texte qui serait un peu moins "coquille vide".
Le 24 mai 2016 sur France Info, Bruno Le Roux a même annoncé clairement l'intention de François Hollande : montrer que le projet de l'opposition serait "pire" ("pire" dans quel sens ? dans le sens de faire redémarrer l'économie en France ou dans le sens de se faire aimer par une ultraminorité gauchiste qui refuse toute création de richesse et donc toute redistribution ultérieure ?), pire que le projet du gouvernement et dire que finalement, avec François Hollande, l'extrême gauche aurait moins à craindre qu'avec les autres. Bonjour la bassesse clientéliste : où est l'intérêt national dans cette affaire ? où est l'intérêt des demandeurs d'emploi ?
Notons au passage que depuis quelques jours, Bruno Le Roux est officiellement président du groupe "socialiste, écologiste et républicain" à l'Assemblée Nationale. Vu le nouveau nom de l'UMP, on aurait tendance à penser, de l'extérieur, que le PS a la manière arrogante de regrouper toutes les tendances politiques du pays dans son seul groupe...
Donc, d'un côté, on a un syndicat, la CGT jusqu'au-boutiste, qui, pour palier son manque d'audience, a choisi la politique du pire (on en viendrait à regretter le fade Thierry Lepaon et son appartement dispendieux).
Et de l'autre, un gouvernement qui refuse absolument de reculer (tout en ayant abdiqué sur le front économique puisqu'il avait déjà reculé, inutilement, devant les députés socialistes). Le seul intérêt de ce projet de loi, justement, c'est d'introduire de la démocratie dans les entreprises en permettant des accords ratifiés par référendum. Quel parangon de la démocratie aurait-il le toupet de refuser que le salarié puisse être consulté ?
Mais tant qu'à avoir une telle mobilisation syndicale, j'aurais préféré l'avoir pour s'opposer à la déchéance de nationalité...
C'est à celui qui aura la plus grosse... L'entêtement de Manuel Valls ressemble à s'y méprendre à celui de Dominique de Villepin en mars 2006 pour le CPE. Cela s'est terminé par un désengagement du Président de la République.
L'argument avancé par Manuel Valls sur BFM-TV ce jeudi 26 mai 2016 était d'ailleurs très mauvais : s'il retirait ce projet, alors aucun gouvernement ne pourrait plus réformer en France, même ses successeurs. Quelle prétention et quelle vanité ! Pour l'instant, depuis le Japon où il était en déplacement, François Hollande l'a soutenu loyalement en disant que Manuel Vals avait " fait une intervention à la radio ce matin qui correspond exactement à ce que nous avions convenu avant notre départ. (...) Ce qu'a dit le Premier Ministre est ce qu'il fallait dire. " (26 mai 2016).
Avec une telle désorganisation économique (qui va avoir des conséquences très graves sur l'économie touristique pour cet été, déjà en difficulté avec les risques d'attentat), on se demande vraiment quelle en est l'utilité puisque le projet El-Khomri ne fera recruter aucune salarié avant au moins un ou deux ans.
Pire, certains économistes ont évalué à déjà 0,2% du PIB le coût économique de ces grèves mais aussi de l'attentisme bien logique des futurs employeurs à propos du projet du gouvernement (qui n'a cessé d'évoluer dans un sens ou dans un autre depuis le 17 février 2016). Quand on sait qu'une règle va changer, c'est la prudence d'attendre pour savoir dans quel sens elle va changer.
Car aujourd'hui, loin d'améliorer le marché du travail, ce projet l'alourdit encore par un nouveau matraquage fiscal, la taxation supplémentaire des CDD. Comme si en taxant les CDD, le gouvernement croyait que les entreprises embaucheraient alors des CDI ! Visiblement, tout le monde ici se fiche du monde ou ne comprend rien à l'économie réelle !
Mais l'idée de François Hollande est peut-être tout autre... Son projet El-Khomri, ce serait juste un "marqueur". Celui d'avoir essayé de réformer le pays. Si le pays va trop mal avant le début de l'été, il pourrait alors tenter un coup politique. Enfin, s'il va trop mal malgré le " ça-va-mieux", bien sûr !
Or, le seul coup politique qu'il puisse faire sans danger (ce qui exclut dissolution et référendum), c'est de changer de Premier Ministre. En éliminant Manuel Valls, carbonisé par Matignon, François Hollande se redonnerait une nouvelle virginité politique à quelques mois de l'élection présidentielle.
Et qui à Matignon ? Eh bien, le seigneur des sondages, pardi ! Emmanuel Macron serait une excellente aubaine. Il éliminerait ainsi tout danger venant de son Ministre de l'Économie un peu indiscipliné et il marcherait alors allègrement sur le platebandes de ses concurrents les plus rudes, Les Républicains, pour l'instant enlisés par leur primaire et dont le favori, Alain Juppé, se verrait prendre ses principaux thèmes de campagne...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 mai 2016)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Manuel Valls.
François Hollande.
Myriam El Khomri.
Emmanuel Macron.
Carburant.
Nucléaire.
La France archaïque.
La grève et la colère silencieuse des citoyens.
Le brevet européen.
Le keynésianisme.
Volkswagen.
Le 49 alinéa 3.
La loi Macron.
L'unité nationale.
La réforme de la société anonyme.
L'investissement productif en France.
Une chef d'entreprise...
Le chômage.
La France est-elle un pays libéral ?
Le travail le dimanche.
Le secteur de l'énergie.
Le secteur des taxis.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20160526-france-archaique.html