Tribune de Christophe Bouillon, député de la 5ème circonscription de Seine-Maritime
Je me souviens de l’imprimé « feuille de vœux pour l’orientation », que l’on nous remettait en classe de 3ème. Il m’avait alors semblé qu’en dépit de mes résultats et de mes choix, dans les têtes de mon entourage, famille, enseignants et camarades, les cases étaient pré-remplies et l’ordre établi : grandir dans une famille modeste devait me conduire inéluctablement vers un métier manuel et vers un apprentissage, tandis que mes camarades qui vivaient dans des familles aux revenus plus confortables étaient promis à suivre la voie de l’enseignement général.
C’était ainsi. Lorsque l’on était dans ma situation, il fallait que naisse, en quelques jours, une passion pour un métier, pour une filière, pour un avenir. Le temps de la réflexion a dû être trop court pour moi : j’ai poursuivi dans la voie générale.
Cette façon de faire a conduit des jeunes vers des filières qu’ils n’avaient pas choisies et pour lesquelles ils n’avaient aucun goût. Cet artifice ne génère pas toujours la motivation. Pour ceux qui l’ont vécu, c’est sans appel : « apprentissage » rime avec « voie de garage » et « mauvaise image ». Le préjugé est tenace. Pourtant, nous apprécions tous de manger du bon pain, de voir arriver le plombier en cas de fuite d’eau, de mettre notre confiance dans les doigts d’un coiffeur de qualité. Pourtant, l’industrie française est conditionnée au savoir-faire de chaudronniers, de tuyauteurs, de soudeurs… Les exemples montrant que ces métiers sont indispensables à notre quotidien ne manquent pas.
Conscient de ce paradoxe, depuis fin 2015, je visite des établissements du territoire qui forment des apprentis. Je me suis rendu au CFA Marc-Ruyer de Petit-Quevilly (coiffure, esthétique), au CFA Georges-Lanfry de Rouen (BTP), au CFA de l’association ouvrière des Compagnons du Devoir et du Tour de France de Mont-Saint-Aignan (construction), au Lycée Professionnel Marcel-Sembat de Sotteville-lès-Rouen (carrosserie et industrie), au CFA de l’Industrie à Notre-Dame-de-Gravenchon, à l’Institut National de la Boulangerie-Pâtisserie de Rouen et au Lycée professionnel Pierre-de-Coubertin de Bolbec (industrie).
J’y ai rencontré des chefs d’établissement et des formateurs passionnés, soucieux de valoriser cette pédagogie innovante et d’accompagner les élèves. J’ai échangé avec des apprentis. Certains m’ont livré qu’ils étaient là un peu par hasard. Pour eux, c’est une scolarité chaotique doublée de la proximité de l’établissement qui a motivé leur inscription. Ils n’avaient pas d’idée sur le métier qu’ils avaient envie d’exercer avant d’intégrer la formation mais chacun voulait réussir.
De toute façon, les responsables d’établissement confient que les exigences de l’apprentissage viennent rapidement à bout de ceux qui manquent de motivation. J’ai aussi et surtout croisé des jeunes très volontaires, qui apprennent avec plaisir. Dans les filières où on les attend le moins, les filières industrielles, on m’a confié que les filles obtiennent souvent les meilleurs résultats, une façon de démontrer qu’elles ont leur place dans ces métiers. Elles ne représentent que 13 % des apprentis des spécialités de l’industrie et du bâtiment et un tiers pour l’ensemble des filières à l’échelle nationale.
Beaucoup de jeunes m’ont dit avoir découvert la formation à travers le stage effectué en 3ème. Ils savent que l’apprentissage n’a pas bonne presse mais balaient ce préjugé d’un revers de main en évoquant, avec fierté, leurs aînés titulaires de diplômes du supérieur ou les 70 % d’apprentis qui trouvent un emploi durable à la fin de leur formation.
Outre les préjugés, et malgré l’état d’esprit positif que j’ai partout constaté, des difficultés demeurent. La réforme de l’apprentissage a été lancée dès 2013 et la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a permis de rénover le dispositif. Les mesures pour favoriser l’alternance et développer l’apprentissage se concentrent sur des aides financières aux entreprises (exonérations de cotisations sociales, aide au recrutement, crédit d’impôt…) car sans patron, l’alternance n’existe pas. Par ailleurs, les règles de protection ont été adaptées aux contraintes des entreprises, sans diminuer la sécurité des jeunes. Par exemple, les apprentis peuvent désormais effectuer des travaux en hauteur ce qui n’était pas le cas avant.
Cependant, le nombre d’apprentis continue de baisser. Aussi, l’objectif de 500 000 jeunes en apprentissage en 2017 est ambitieux et utile au regard de l’insertion professionnelle réussie d’un grand nombre d’apprentis. Pour y parvenir, il faut trouver des réponses aux principaux freins qui se situent chez les jeunes eux-mêmes.
Le premier, c’est l’âge. Les apprentis mineurs trouvent difficilement un employeur. Les contraintes liées à l’embauche d’un mineur sont plus exigeantes et plus limitées en matière de sécurité.
Le deuxième frein, c’est l’adaptation du système. Dans les secteurs où le travail est organisé en équipe, où les horaires ne correspondent pas à ceux du système scolaire, il paraît essentiel d’aménager et de simplifier la procédure permettant aux jeunes de suivre le même rythme de travail que celui de l’équipe dans laquelle ils se forment. De même, trop d’apprentis échouent aux examens car le temps passé en entreprise laisse peu de place à leur préparation.
Le troisième frein, c’est la mobilité. En effet, les spécialités ne sont pas enseignées partout. Les transports scolaires ne permettent pas toujours aux jeunes de se rendre dans leur établissement. Or, chaque structure ne dispose pas d’un internat et, quand elle en est pourvue, il n’est que très rarement mixte. Le problème se répète doublement lorsque les jeunes ne trouvent pas d’employeur à proximité de chez eux. Quand ils n’ont pas un parent pour les véhiculer, quand ils ne peuvent financer ni l’achat d’une voiture, ni la location d’un logement, la volonté de suivre un apprentissage est anéantie par une dure réalité. C’est un point que les responsables d’établissement que j’ai rencontrés ont unanimement soulevé.
J’ai appris beaucoup en visitant ces établissements. J’ai rencontré des apprentis, formateurs, responsables d’établissement, qui disent avec cœur que l’apprentissage est une voie d’excellence et d’épanouissement. J’ai appris que les leviers pour faire changer les mentalités étaient à portée de main.
En parler. En parler en bien.
C’est le sens de la réunion que j’organise ce jeudi 19 mai, à 18h30, salle de L’Oiseau Bleu, à St-Wandrille-Rançon.