Entretien avec Régis Vincent, responsable de la partie software au SRI Robotics. Il revient sur le projet MOTOBOT mené de front avec Yamaha pour nous livrer ensuite ses projections quant à l’adoption de la voiture autonome et des robots de maison.
Nous avons rencontré Régis Vincent, responsable de la partie software au SRI Robotics, partie intégrante du SRI International. Situé au coeur de la Silicon Valley à Menlo Park, ce centre de recherche à but non lucratif accompagne des agences gouvernementales, à commencer par la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency, l’agence du Ministère de la Défense américain en charge du développement de nouvelles technologies à des fins militaires) comme des acteurs du secteur privé - des grandes entreprises et des start-ups - dans le développement d’innovations de rupture. Les équipes du SRI International transforment la recherche fondamentale en prototypes.
Si ce nom, SRI, reste peu peu connu du grand public, il est pourtant à l’origine d’une grande partie des appareils que nous utilisons dans notre quotidien. Depuis la création du SRI il y a 65 ans, les ingénieurs ont entre autres donné naissance à la télévision puis aux films en couleurs dans les années 50, au concept d’ultrasons pour le domaine médicale dans les années 80, à l’ordinateur tel qu’on le connaît aujourd’hui mais aussi à internet dans les années 60 et plus récemment à Siri - technologie acquise depuis par Apple.
Habitué de L’Atelier Numérique, Régis Vincent nous parlait déjà de robotique en 2004. En 2010 plus particulièrement, il introduisait la notion de « robot voiture », grand frère du véhicule autonome dont on entend si souvent parler aujourd’hui. Aux prises avec les technologies qui seront à la portée des masses dans une décennie, cet expert de la robotique nous parle du projet MOTOBOT, présenté au dernier Consumer Electronic Show et nous livre ses réflexions quant à l’arrivée de la voiture autonome et des robots de maison.
Pouvez vous nous parler du projet MOTOBOT ? Quelles sont les applications ?
Régis Vincent : Yamaha nous a approché il y a un peu plus d’un an pour travailler sur le projet MOTOBOT. L’idée était de développer un robot humanoïde capable de conduire une moto le plus vite possible, sans que nous ayons à modifier la structure de la moto. Nous nous sommes d’ailleurs donnés l’ambition d’approcher les temps réalisés par Valentino Rossi, neuf fois champion du monde en grand prix moto.
À court terme, Yamaha souhaite développer un système de tests automatiques pour ses motos afin de remplacer ceux effectués habituellement par des humains. En effet, ceux-ci, étant réalisés par des humains affichent des résultats variables, ce que la robotique a le pouvoir de gommer. À plus long terme, ce robot humanoïde pourrait être affilié à d’autres tâches comme la préhension d’outils par exemple.
Quel rôle joue l’intelligence artificielle pour la conduite du véhicule autonome ?
Quand on parle d’intelligence artificielle, on devrait toujours considérer le contexte, soit l’environnement dans lequel l’objet se situe.
Dans le cas de la voiture autonome, le contexte, qui n’est autre que l’environnement dans lequel évolue le véhicule, pourrait être qualifié de pré-déterminé tant la conduite est régie par des règles - l’arrêt au feu rouge, le démarrage au feu vert, les limitations de vitesse en agglomérations, etc. Autrement dit, on peut expliquer toutes les règles de conduite au logiciel de la voiture autonome. Je précise qu’ici, je n’évoque pas encore le point épineux des dilemmes comme on n’a pu en entendre parler récemment avec les Google Cars. Le véritable challenge de l’intelligence artificielle réside plutôt dans la compréhension des demandes qui émanent de l’humain. Les assistants personnels virtuels comme Siri d’Apple ou Alexa d’Amazon tentent précisément de parvenir à déchiffrer des demandes sans éléments de contexte préalables (par exemple, « quelle recette composer à partir de tel et tel ingrédient ? »). Ce qui est extrêmement complexe. En effet, l’intelligence artificielle est très douée pour répondre à des questions binaires ou réaliser des tâches bien spécifiques.
On pourrait donc dire que rendre le véhicule autonome ne correspond pas à la partie technologique la plus complexe.
Au dernier SXSW, Chris Urmson disait qu’on ne verrait pas de Google Cars sur les routes tant que celles-ci ne seraient pas plus performantes que la conduite humaine. Est-ce donc cela le vrai challenge du véhicule autonome ?
Probablement ! Si on revient sur la question des dilemmes, la voiture autonome dans sa version la plus avancée évitera en quelque sorte de se retrouver face à des situations délicates d’un point de vue éthique. Elle saura anticiper ce genre de scénarios et aura par exemple au préalable ralenti.
Mais il faudra encore du temps avant l’atteinte de cet objectif. On passera probablement avant par un stade intermédiaire, de semi-autonomie. Bien que le véhicule sera en charge quasi totalement de la conduite, le conducteur restera assis derrière le volant au cas où il aurait besoin de reprendre le contrôle sur le véhicule.
Ceci, d’ailleurs, pose des questions de gestion. À quel moment précis le chauffeur devrait idéalement prendre le relais, quand l’avertir ? On pourrait imaginer une alarme sonore au sein de l’habitacle signalant au conducteur par un système de compte à rebours qu’il doit reprendre les rênes de la voiture sous peu : « dans 1 minute, vous reprendrez contrôle du véhicule ! » par exemple. Il faut nécessairement que cela soit progressif.
Le robot humanoïde créé par les ingénieurs du SRI pour le projet MOTOBOT en partenariat avec Yamaha
Quelles sont vos projections quant à l’arrivée de la voiture autonome sur les routes californiennes ?
Cela se passera plus vite qu’on ne le pense. D’ici deux ans, les modèles hybrides devraient envahir les routes. La régulation devrait ensuite lentement contribuer à l’arrivée de la voiture autonome, en autorisant d’abord d’ici 5 ans la création de voies entièrement consacrées à ces types de véhicules sur les autoroutes. Imaginez sur ces voies, une file de véhicules autonomes, capables de s’appréhender mutuellement car connectés les uns aux autres. La voiture pourra ainsi anticiper le comportement du véhicule qui la précède et de celui qui la succède.
Plus tard, d’ici 10 à 15 ans, on devrait voir apparaître des autoroutes dédiées aux voitures autonomes comportant un couloir réservé pour les anciens modèles.
Autrement dit, c’est la combinaison d’avancées technologiques et juridiques qui nous mènera à l’adoption de la voiture autonome.
Il ne serait donc qu’une question d’années pour que les « robots voitures » surgissent sur les routes. Pourrait-on en dire autant de la présence des robots dans la maison ?
Il existe déjà plusieurs solutions de robots adaptés pour la maison mais ils sont spécialisés dans la réalisation de tâches précises et uniques. C’est le cas de Roomba, le robot - aspirateur développé par iRobot, ou son concurrent Neato. D’une certaine manière les machine à laver le linge les plus récentes sont aussi des formes de robot de maison spécialisés. En revanche s’il est question de robots d’aide à domicile, qui peuvent manipuler des objets et entreprendre plusieurs types de tâches (ranger une pièce en ramassant les choses par terre, débarrasser la table, et pourquoi pas plier le linge), là, le défi reste encore de taille ! Et il s’agit d’abord d’une question de coût. Pour qu’il soit intéressant, le robot ne doit pas coûter plus de 1 000 dollars. Or aujourd’hui, nous ne sommes pas capables d’arriver à ce prix. D’ici 3 à 4 ans pourtant, on devrait voir apparaître des robots capables de manipuler des objets dans nos habitations, devenant elles-mêmes peu à peu autonomes !
Vous avez développé un robot cueilleur de pommes testé dans l’état de Washington. On imagine donc à terme que ce type de robots déployés dans les exploitations pourraient remplacer le travail de saisonniers. Que pensez-vous de cette évolution ?
L’impact de la robotique sur les emplois est un sujet classique. Il est intéressant de voir quand dans ce cas précis, c’est une association d’agriculteurs qui a contacté le SRI International pour créer un robot capable de ramasser des pommes, l’embauche de saisonniers étant de plus en plus difficile. En effet, la cueillette est une activité fastidieuse et éreintante qui peine à trouver preneurs aujourd’hui. Cet exemple est une illustration du potentiel des robots : remplacer la main d’oeuvre pour des tâches répétitives qu’à l’heure actuelle peu d’humains souhaitent réaliser.