Pour en finir avec la poésie ?
Yves Boudier
Le poème procède d’un contrat, donc d’un marché au sens le plus exigeant. Avant tout, il relève d’un pacte de langue qui déborde les seuls termes du lien associant le mot et la chose, le concept et l’image, l’adresse et le reçu. Don du quotidien en termes partagés autant qu’écriture d’une solitude qui fonde nos perceptions intimes, il requiert en chacun une place faite à l’autre, l’autre de la langue et du désir. Et le marché du poème, c’est autre chose qu’un marché public ou un marché commun, à moins d’entendre tour à tour ces qualifiants sur un mode éthique et poétique différent qui offre au poème de percer à jour ce qui ne serait qu’un marché de dupes.
Autrement dit, il nous revient de sans cesse recréer et entretenir l’espace physique et esthétique qui rend possible, dans sa lettre et son esprit, dans son corps et sa pensée, le surgissement du poème. Un lieu où le volubile et l’ineffable entrent en conversation, déplacent ou repoussent les marges du possible pour réaffirmer l’irréductible puissance de l’acte d’écrire que le vers, quel qu’il soit, justifie et géométrise. Et cela ne peut se faire hors d’un commerce, celui du poème qui « rémunère le défaut des langues » selon Mallarmé, mais aussi d’un vrai commerce, dans la mobilité réelle des échanges sonnants et trébuchants.
Au terme d’une récente conversation, Franck Venaille concluait d’une voix sereine, « finalement le poème, c’est quelque chose à quelqu’un ». Bel énoncé, simple et radical, où s’entend la nécessité d’un détachement de la parole pensive de soi vers l’autre et l’ambiguïté heureuse d’une préposition qui signe une appartenance réciproque : l’accueil du poème relève d’un acquiescement à son pouvoir d’étonnement. Ainsi, chacun entend dans le poème ce qu’il reconnaît de lui-même, au risque que la poésie seule permet de courir, celui de mesurer le plaisir inattendu d’une découverte, d’une épellation recomposée de son adhésion au monde. Car comme l’écrit Martin Rueff, « le poème est sans doute le seul acte de langage qui tient plus qu’il ne promet ».
Yves Boudier est président du Marché de la poésie et le texte, dont ces lignes sont extraites, est publié en Une du journal du Marché de la poésie, Marché des Lettres, qui publie son n° 17, été 2016.
Ce journal sera disponible notamment au Marché de la poésie qui se tient du mercredi 8 au dimanche 12 juin 2016, place Saint-Sulpice à Paris. La « périphérie » du marché est particulièrement riche cette année avec pas moins de 38 évènements.
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