La critique de Claude :
Le dernier roman de Julian Barnes est tout entier consacré au harcèlement.
Dimitri Chostakovitch, né en 1906, est comme une flamme d’inspiration, le monde entier en est d’accord. Mais il n’écrit pas la musique « entrainante » et « motivante» dont le Prolétariat a besoin. C’est ce que pense le Camarade Staline, qui d’ailleurs ne goûte guère, dans cette musique, ce qu’il appelle le « fatras », c’est à dire les chocs des percussions ou les cris des chanteurs.
Il se montre d’ailleurs maladroit, adaptant des livrets bourgeois (tel que « Lady Macbeth de Mzensk »), qui montrent que tout ne va pas pour le mieux sur la planète soviétique, ou glissant de l’humour dans des hommages officiels au Guide éclairé.
Chostakovitch, pendant les grandes purges des années 30, s’attend au pire, passant la nuit, avec sa petite valise, près de l’ascenseur, pour éviter à ses enfants le spectacle d’une arrestation.
Finalement, il ne sera pas tué, mais « encadré », c’est -à- dire harcelé par l’Union des compositeurs et son président Krennikov (lequel finira décoré par Wladimir Poutine).
En 1953, avec la mort du tyran et la publication de ses crimes, l’espoir renaît, mais le harcèlement va rester constant, portant moins désormais sur le contenu de la musique que sur la signature de manifestes, et, plus grave, sur la critique ou la dénonciation d’autres artistes. « En le laissant vivre », écrit Barnes, « ils l’avaient tué. »
Un livre important, surtout pour ceux qui aiment Barnes, ou le grand musicien auquel il vient de consacrer son talent.
Le fatras du temps, roman de Julian Barnes, traduit par Jean Pierre Austin, édité au Mercure de France, 200 p., 19€