Le printemps arabe à la manière de Y.-A. ELALAMY

Par Citoyenhmida

On a plutôt envie de parler de "drôle de livre" en évoquant le dernier opus de Youssouf Amine ELALAMY paru en 2015 chez les éditions La Croisées des Chemins sosus le titre " DROLE DE PRINTEMPS suivi de Miniatures "

Ce n'est pas un roman, ni un recueil de nouvelles, ni une séries de chroniques ou de billets d'humeur, ni une somme de poèmes en prose, ni des notes personnelles!

L'opus de Y.-A. Elalamy est constitué dans une première partie de 333 paragraphes - oui exactement 333 dixit l'auteur lui-même - indépendants, sans rapport évident et censés nous "raconter le printemps arabe".

Heureusement, l'auteur nous donne dès la première page la clé de lecture et partant de compréhension de "ces micros-récits écrits à la première et qui se tiennent la main"; Vous avouerez avec moi que l'exercice peut sembler inhabituel ! Il s'agit en fait d'appliqer au récit la construction de la chanson d'enfants connue sous le nom de "trois p'titis chats".

Rappelez-vous :

"Trois p'tits chats, chats , chats....
Chapeau de paille, paille, paille.....
Paillason, son, son
Somnanbule, bule, bule.....
Bulletin, tin, tin....
Rtc....etc....etc....

Ouvrons au hasard le livre de Elalamy :

Page 12 : un paragraphe se termine par "Tout le monde serait bientôt en rouge" et le suivant commence par "Je lui ai dit que je serais en rouge".

Page 41 : un paragraphe se termine par "Toutes nos viandes sont hallal" et le suivant commence par "je suis omnivore".

Page 82 : un paragraphe se termine par "Il se fait canarder" et le suivant commence par " La ville entière est blessée".

Page 95 : un paragraphe se termine par "J"au d^crier très fort pour qu'elle m'entende" et le suivant commence par "Je dormais et je rêvais".

Au bout du 333ème paragraphe, le lecteur est supposé avoir survolé les principaux évènements qui ont marqué le printemps arabe de 2011 : il aura croisé Ben Ali et Kaddafi, l'islamiste terroriste et le manifestant pacifiste, le policier bête et méchant, l'immigré qui a tout raté et qui survit à un attentat, et...

L'un des derniers paragraphes de cet étrange récit mérite que le cite intégralement :

" Bonjour la révolution ! Je suis descendu dans la rue et j'ai risqué ma vie à 18 ans pour faire élire un président de 88 ans. J'espère au moins qu'il se souvient de son nom."

Mais Youssouf-Amine ELALAMY a dû se rendre compte que les 333 paragraphes ne pouvaient faire l'objet d'une publication digne de son stabnding. Il a donc ajouté aux 100 pages formant "ce "Drôle de printemps", cinquante - pas un de plus - portraits parfaitement croqués, chacun en une vingtaine de lignes.

Dans "MINIATURES" l'auteur passe en revue toute la société marocaine : des enfants jouant ans la rue, à la dactylo fonctionnaire à la Préfecture "payée pour tricoter, feuileter les magazines et commenter les feuilletons égyptiens", de la bourgeoise qui se gave toute la semaine des mets les plus succulents pour jeûner le jeudi en solidarité avec les pauvres à Itto la petite bonne de 14 ans au service de la maitresse de maison et bien sûr de son jeune fils, de l'ingénieur staticien au chomage depuis sa sortie de l'INSEA à Abdelhay apprenti-kamikaze au bidonville de Sidi Moumen.

Le portrait qui m'a le plus marqué est celui de Moulay L'Mamoun "descendant du Prophète, chérif de père en fils", qui explique à son ami français qu'il ne mange pas le porc, parce que "le porc altère le goût du rosé".

Comme toujours, le livre de Youssouf-Amine ELALAMY est écrit dans une langue très fine, très élaborée, percutante, truculente parfois mais toujours juste. Ce qui est rare chez les écrivains francophones marocains et mérite d'être souligné.