Cette troisième lecture sur la précocité/douance/zébritude est de loin la plus précise et la plus détaillée que j’ai lu. Fabrice Bak, psychologue cognitiviste lyonnais, se place immédiatement dans la lignée de Jeanne Siaud-Facchin qu’il cite à plusieurs reprises et dont les retours d’expérience sont fréquemment similaires. Toutefois en publiant son ouvrage dans la collection « Enfance, éducation et société » des éditions L’Harmattan, F. Bak lui confère d’emblée le qualificatif d’essai ou d’étude universitaire, contrairement aux écrits de Monique de Kermadec et Jeanne Siaud-Facchin qui trouvent d’avantage leurs places au rayon développement personnel des bibliothèques et librairies.
Fabrice Bak propose ici de contextualiser la précocité et de la définir précisément en comparant le fonctionnement cognitif des enfants et adolescents précoces à celui des personnes dans la norme. Aussi tout le premier chapitre, soit une centaine de pages, est consacré à ce sujet. A la suite de M. de Kermadec et J. Siaud-Facchin, Fabrice Bak réfute le terme de « précocité » utilisé à tort et souligne que le décalage dont il est question ne disparaît pas avec l’âge adulte. Point de zèbre, léopard ou panthère rose ici pour autant ! Les termes nettement plus sobres d’ « aisance intellectuelle » sont privilégiés et englobent une population quelque peu plus large que les habituels « lauréats » d’un QI supérieur à 130. Pour les détails psychométriques, je vous renvoie au livre.
Ce premier chapitre sur le développement cognitif est relativement ardu pour le non initié à la psychologie cognitive mais a le mérite d’expliciter précisément la question et de ne pas se contenter de lister des « symptomes » éventuellement caractéristiques de la douance. A partir de ces rappels scientifiquues, Fabrice Bak s’échine dans un deuxième chapitre à développer sa théorie sur le déréglement des structures mères à l’origine des souffrances liées à la douance. Ces structures cognitives sont au nombre de cinq : la décentration, la généralisation, la classification, l’inhibition et l’anticipation. Chacune tient son rôle spécifique dans l’organisation et la construction de la pensée de l’individu et correspond à des étapes différentes du développement cognitif. La structure-mère de la classification en particulier se développe très tôt chez l’enfant précoce, alors que le cadre scolaire n’exploite pas encore son usage – si j’ai bien compris ! -, aussi cette structure-mère se mettrait en place de manière anarchique chez ces enfants qui se voient sollicités à l’école sur leur capacité de classification à un âge où leur système cognitif l’aura intégré depuis longtemps et devrait idéalement être interpellé sur le développement d’autres structures. Or, il se trouve que le système de classification interne joue un important rôle de régulateur entre les quatre autres structures mères. Ce dérèglement initial entraine une réorganisation complète du système cognitif selon différentes logiques provoquant des difficultés cognitives et surtout affectives spécifiques.
Une fois ce chapitre abattu, vous avez lu le plus difficile et la suite est plus fluide… J’avoue être restée assez perplexe et plutôt dubitative sur cette deuxième partie. De nombreuses questions restent en suspens et je n’ai pas franchement saisi ce que sont concrêtement les structures-mères, certains paragraphes se faisant sérieusement jargonneux… Et c’est bien là que le bât blesse car de cette théorie découle la suite de l’ouvrage, et beaucoup d’autres choses…
Les chapitres suivants sont plus accessibles aux novices et approfondissent plusieurs points qui n’étaient pas ou peu abordés dans mes précédentes lectures : la vie de couple et l’incidence d’une psychothérapie sur celle-ci, les dangers accrus pour ces personnes douées mais fragiles à savoir la rencontre avec le pervers narcissique et les abus sexuels, la vie sociale, la vie familiale et le rapport au bonheur. Ces points sont abordés assez rapidement mais de manière très limpide et permettent de prendre du recul sur des situations courantes du quotidien perçues différemment selon les individus.
Le quatrième chapitre ouvre des perspectives d’évolution pour sortir le surdoué de ses difficultés existentielles. La nécessité du diagnostic est à nouveau soulignée pour donner un sens aux difficultés rencontrées, et des thérapies sont proposées en fonction de l’âge du patient et de l’organisation de ses structures-mères – cheval de bataille de l’auteur. Le cinquième chapitre recueille quatre témoignages d’adultes doués en cours de thérapie aux parcours de vie très différents. Enfin le dernier chapitre est entièrement consacré à l’accompagnement de l’enfant à haut potentiel et tout particulièrement à la question scolaire.
L’ultime détail appréciable de cette publication est une bibliographie d’une dizaine de pages permettant d’approfondir un certains nombres de points présentés. Je regrette simplement que le renvois à ces références n’ait pas été fait en note de bas de page, dans le corps du texte. Des manuels de Piaget aux romans de Bernard Werber en passant par des articles scientifiques anglophones ou les livres de Monique de Kermadec et Jeanne Siaud-Facchin, les pistes à explorer sont de plus en plus nombreuses…
J’espère toutefois que je ne vous ai pas perdu en cours de lecture de ce billet. Si vous avez un avis pour confirmer, préciser ou contredire la théorie de Fabrice Bak, je suis et reste toujours curieuse de vos retours !
La précocité dans tous ses états : à la recherche de son identité – Fabrice Bak
L’Harmattan, 2013, 361 p.
.