Il y a quelque deux ans, un jeudi trois avril, Claire Genoux est devenue Orpheline. A quarante-deux ans, elle a perdu sa maman, Martine Bryois, en mémoire de laquelle elle publie maintenant ce magnifique livre de poèmes.
Très tôt sa maman distingue Claire parmi ses trois filles:
Elle dit qu'avec celle-ci des trois
celle qui écrit des livres
ça avait été difficile
mais qu'elle s'était habituée avec le temps
aux silences
que cette enfant-là
elle avait toujours fait ce qu'elle voulait
et que très tôt
ça avait été joué
qu'elle allait écrire
qu'elle ne s'arrêterait plus
S'adressant à sa maman, Claire lui donne raison:
j'écris pour tu sois moins morte
je me fais redire dans la tête
lentement ton histoire
Cette histoire, ce sont des souvenirs d'enfance, des choses auxquelles on pense toujours après,
comment ç'avait été de l'aimer,
mais aussi la vie qu'elle aurait eue sans ses filles:
On parlerait de cette femme
qu'on aurait vue
très belle et lointaine sur la plage
on écrirait un roman d'elle
on parlerait de la totalité des choses de son corps
et comment il est traversé par le vent heurté des feuilles
Cette histoire, c'est l'annonce de la maladie par sa mère:
elle a dit des mots graves et très beaux
qu'il faudra s'habituer
et continuer avec le corps
le départ pour la clinique:
c'était le jour de la cérémonie d'ouverture
des jeux de Sotchi
Cette histoire, ce sont
ces jours qui restent avec elle dans la chambre
- mais combien
le fatidique huit février:
Ils ont tout enlevé
vidé jusqu'au fond
jusque vers le dos
ils ont fait ça sur elle
sur maman
Cette histoire, c'est
celle de la séparation de la mère et de la fille
elle a commencé sans qu'on le sache
elle a commencé dans l'absence totale
des mots pour le dire
Et, quand les mots viennent, elle dit:
j'écris par ruissellement
et les larmes pleurent aux doigts
percent entre les ongles
Cette histoire se termine le mardi 8 avril:
Je suis avec elle dans la grande auto grise
(...)
elle me parle avec sa voix
avec de vraies lèvres
et c'est le seul bruit
avant le trou:
ils ont détaché les cordes
ils ont fait rouler la boîte
ils ont dit encore des phrases
mais on n'a plus entendu
on a juste vu que la terre était grise
quand ils t'ont descendue
Cette histoire qu'il fallait raconter parce
que c'était une solution à la vie
a un épilogue.
Cet homme, pour lequel elle écrit, lui dit
que maintenant
on ne veut plus rien savoir
de la mort de sa mère
Elle répond :
écrire des histoires d'amour
elle ne sait pas si elle peut
elle dit qu'écrire
c'est à cause du corps
Justement...
Francis Richard
Orpheline, Claire Genoux, 184 pages Bernard Campiche Editeur
Livres précédents chez le même éditeur:
Faire feu (2013)
La barrière des peaux (2014)