Salué cette année par le Prix Jean Arp de littérature francophone, Petr Král, qui écrit aussi bien en français qu’en tchèque (1), publie un nouveau recueil où l’on retrouve les lignes de force de son écriture. D’ailleurs le titre semble en receler quelques-unes puisque d’une part il s’agit ici d’accueillir, c’est-à-dire d’être suffisamment réceptif à tout ce qui arrive sans cesse, y compris dans l’apparente grisaille du quotidien(2), et que d’autre part l’objet de cette attention est qualifié comme étant le lundi, ce qui confère à cet assemblage une certaine étrangeté.
En lisant ces poèmes en vers ou en prose dont l’ampleur va de quelques mots répartis sur la page à de longs développements qui tendent vers la narration, on peut penser à la démarche d’un Reverdy qui, également issu du surréalisme classique (même si c’est après avoir effectué des détours très différents(3)), explorerait dans les moindres détails ce que nous désignons sous le nom de monde dans ses multiples dimensions (sensations, rêves, souvenirs et références diverses qui peuvent nous être communes par leur appartenance à l’Histoire, à d’autres oeuvres, etc.) et ce dans une tonalité souvent burlesque (4) : « Pieds ornés de chaussettes bariolées / dans les décombres blêmes du monde » ; « Pour ce qui est des villes / elles sont certains matins pleines d’effrayants dentistes » ; « Et tiens sur le marché à présent / on t’enveloppe et avec un ruban écolo on te vend à toi-même »
En fait, à partir de circonstances qui paraissent relever de l’autobiographie, P. Král creuse (car « chaque scène / en cache une autre ») dans ce début de semaine que l’on pourrait considérer comme un « départ dans l'affection et le bruit neufs » (5), chacun des poèmes étant susceptible d’offrir cette opportunité. L’auteur y mêle subtilement les époques et les lieux, faisant soudain passer de Brno à Mexico, ou d’un siècle à l’autre : « …même se retrouver un instant dans la peau d’un étudiant d’Oxford quand en mars / 1921 disons il enfilait de blanches socquettes éponge avant son entraînement de rameur ».
Une telle porosité n’est pas sans conséquences sur l’état du sujet qui l’éprouve : « Qu’est-ce qui doit perdre son nom / et en quoi pour que la chose soit là » ou bien « Il a marqué un but / contre lui-même et n’était plus » et ce d’autant plus que ce qui est mis en relief révèle parfois une menace sourde, malgré l’humour qui cherche à en détourner le tir : « Celui-là avec son portable un peu rouquin mais en chaussures de vrai cuir / est tout sourire il se peut pourtant qu’il commande la balle / dans la nuque de quelqu’un » Cela dit, P. Král sait éviter une gravité excessive en restant conscient du fait que son action d’enquêteur méticuleux (6) demeure forcément restreinte : « Le poème devrait aussi savoir n’être qu’un journal / d’inventeur manqué »
Bruno Fern
1. Né à Prague en 1941, P. Král émigre à Paris en 1968 puis retourne vivre dans sa ville natale en 1989. Pour en savoir plus, je conseille la lecture de l’ouvrage que Pascal Commère lui a consacré, paru en 2014 aux éditions Les Vanneaux.
2. « le gris nous permet de nous attarder en sa compagnie, il est la couleur d’un lent apprentissage des choses et de leur persistance » (Notions de base, Flammarion, 2005) ; de plus, P. Král a écrit un livre intitulé Le Droit au gris (In’hui-Le Cri, 1995).
3. De 1959 à 1968, P. Král participe aux activités d’un groupe post-surréaliste tchèque autour de Vrastislav Effenberger ; il rencontre le groupe surréaliste français en 1967.
4. Petr Král s’est longtemps intéressé à ce genre cinématographique – cf. Le Burlesque ou Morale de la tarte à la crème, Stock, 1984.
5. Rimbaud, Illuminations.
6. Enquête sur des lieux, Flammarion, 2007.
Petr Král, Accueillir le lundi, Collection Jour & Nuit, Les Lieux-Dits éditions, 2016, 108 pages, 15 €. Pour commander l’ouvrage : Les Lieux-Dits éditions / Germain Roesz, Zone d'Art, 2 rue du Rhin Napoléon 67000 Strasbourg
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