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Charente-Maritime : pourquoi les moules des pertuis meurent-elles ?

Publié le 23 mai 2016 par Blanchemanche
#mytiliculture
Publiéle 23/05/2016 par Philippe Baroux

Hier encore dans la baie d’Yves, Benoît et François Durivaud ont constaté la mauvaise santé des élevages de moulesHier encore dans la baie d’Yves, Benoît et François Durivaud ont constaté la mauvaise santé des élevages de moules © PASCAL COUILLAUD

 Des pertes de production de 70 à 90 % sont recensées par les producteurs de moules ce printemps. Le coupable est connu, mais comment agit-il ?

Vibrio splendidus. Un nom de bactérie à vous hérisser les cheveux d'un producteur de moules impuissant face aux vagues de mortalités qui frappent ses élevages. Depuis 2014 et les sévères pertes observées dans le pertuis Breton, vibrio splendidus, c'est aussi le cauchemar des scientifiques. Ils tentent d'expliquer ce phénomène aux conséquences économiques désastreuses pour les entreprises. 25 chercheurs répartis sur six sites de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) et de l'Université de Bordeaux 1. Avec en première ligne, les équipes charentaises des laboratoires Environnement ressources des pertuis et Génétique et pathologie des mollusques, à La Tremblade et à L'Houmeau.
Deux axes guident les travaux, explique en substance Jean-François Pepin : l'environnement dans lequel la mortalité se développe, et le mal à proprement parler qui affecte la moule. À la manière d'une enquête policière, les chercheurs ouvrent des portes qu'ils referment au fil des expériences.
Comment les chercheurs ont-ils isolé cette bactérie associée aux mortalités ? La réponse était l'objet de la rencontre organisée vendredi dernier avec une trentaine de producteurs de Charente-Maritime et de Vendée.
Charente-Maritime : pourquoi les moules des pertuis meurent-elles ?© PHOTO "SUD OUEST"

Un phénomène plus étendu

La démarche réclame du temps. Mais déjà, les premières fortes mortalités de 2014 ont apporté quelques conclusions, confirmées en 2015, même si l'ampleur du phénomène était alors moindre. En 2014 donc, l'épisode est pour l'essentiel localisé dans le pertuis Breton. Filières et bouchots confondus, les pertes atteignent jusqu'à 80 %. Par comparaison, elles sont de 10 % dans le pertuis d'Antioche. « Des conditions environnementales particulières ont été mises en évidence », poursuit le chercheur du laboratoire Environnement ressources des pertuis charentais. 35 tempêtes en deux mois durant l'hiver qui a précédé les premières mortalités, début mars. Un hiver doux et pluvieux. Les apports d'eau douce du Lay et de la Sèvre niortaise en baie de l'Aiguillon, mais aussi de la Loire et de la Gironde, fleuves dont les panaches agissent aussi sur le pertuis Breton, induisent des baisses de salinité. L'eau est aussi plus turbide. Ces phénomènes vont affaiblir les moules qui, à l'arrivée du printemps doivent mobiliser davantage d'énergie pour se reproduire. Le chercheur parle d'un « animal soumis au stress ».« Mais cela n'explique pas tout ! Car cette météo était identique en Vendée où les élevages de la baie de Bourgneuf étaient épargnés cette année-là. Nous concluons donc qu'un autre phénomène agit dans le pertuis Breton. »Charente-Maritime : pourquoi les moules des pertuis meurent-elles ?Jean-François Pepin, l'un des 25 chercheurs mobilisés sur la mortalité des moules© PHOTO "SUD OUEST"

Des mortalités plus précoces

Vibrio splendidus est désigné, bactérie retrouvée dans tous les lots décimés. Sur la paillasse, les équipes reproduisent la mortalité, ils injectent l'infection à des moules saines. Plus proche de la réalité du milieu naturel, ils vérifient dans des bassins fermés que les moules infectées contaminent les moules saines. « Malheureusement si je puis dire, nous arrivons à reproduire la mortalité, et à chaque fois, nous retrouvons splendidus ».Le sujet se corse. En 2016, la mortalité a été plus précoce, observée dès février. Sur le secteur de la baie de Bourgneuf, elle n'a même jamais vraiment cessé, observée autour de 8 % de pertes mensuelles depuis l'immersion de lots tests des scientifiques en octobre 2015, et avec montée en puissance à 50 % en fin d'hiver. Le phénomène s'est aussi étendu au pertuis d'Antioche vers le sud charentais, et jusqu'en Normandie (-20 %).« Travailler sur un phénomène infectieux est extrêmement complexe et peut prendre des années »Bien des portes restent ouvertes. En 2014 et 2015, les scientifiques ont collecté des données sur les pesticides, le plancton que filtrent les moules, le système immunitaire du mollusque. Ils doivent encore exploiter le contenu de cette masse d'informations.« Travailler sur un phénomène infectieux est extrêmement complexe. La bactérie est un organisme microscopique dont on ne connaît pas le génome. Il faut aussi prendre en compte que la moule s'est “laissée tuer”. Nous travaillons sur cette interaction entre l'agent infectieux, et sa victime. La bactérie est-elle plus tueuse ? Ou est-ce le système immunitaire de la moule qui a changé ? Ne présente-t-elle d'ailleurs pas une anomalie chromosomique ? D'autres facteurs, interviennent-ils aussi ? Répondre à ces questions peut prendre des années. »Vibrio splendidus est identifié. Mais cela ne suffit à personne. Ni aux chercheurs qui pointent la question de la virulence aujourd'hui d'une bactérie identifiée de longue date dans le milieu marin. Ni aux professionnels qui subissent les pertes.Des pistes de sortie de criseAu cas où les mortalités devraient se poursuivre avec une telle intensité et sur plusieurs saisons, existe-t-il un plan B qui permettrait aux producteurs d’espérer sortir de la crise ? Les chercheurs les mettent sur la voie de la résistance naturelle ou « forcée » (lire ci-contre). Les échanges avec la profession posent aussi l’idée d’un changement d’espèce, comme l’ostréiculture en avait connu dans les années 70, substituant la japonaise à une portugaise moribonde. Il existe dans l’embouchure de la Vilaine une moule hybride de mytilus edulis, la variété cultivée en Charente-Maritime et en Vendée. De même que les Bretons connaissent la galloprovincialis. S’acclimateraient-elles dans nos eaux ? « Avant de parler de changement d’espèce, il faut faire un juste constat de la situation », estime Benoît Durivaud. Il souligne que si les Bretons voient galloprovincialis dans leurs eaux, « c’est pourtant avec l’edulis qu’ils ensemencent leurs élevages. La raison est simple : c’est l’espèce que demande le marché, la moule de bouchot. Les chercheurs nous parlent de la résistance de la gallo parce qu’un producteur, et un seul, qui en produit à Lannion (Côtes-d’Armor) ne subit pas de mortalité. Mais il doit faire 100 tonnes, pour un marché national de 60 000 tonnes… »Autre voie : le vide sanitaire. Il se baserait sur l’hypothèse qu’il pourrait exister un foyer bactérien dans le pertuis Breton où se concentrerait la bactérie tueuse de moules, attendant chaque saison les conditions propices à l’assaut. « Dans ce cas, nous pourrions vider les filières de toute production. Pour l’efficacité, il s’agirait de le refaire plusieurs saisons de rang. Là encore, c’est la victime qui paie… l’idée du vide sanitaire est louable, mais impossible si nous ne sommes pas aidés financièrement sur plusieurs campagnes. »Le producteur pointe le sujet de la résistanceBenoît Durivaud n’a ramené qu’un seul motif de satisfaction de sa marée dominicale. La qualité apparente des petites larves de moules observée sur les 17 kilomètres de cordes de captages qu’il a récoltées. Sitôt débarqué à Chef-de-Baie en début d’après-midi, ce naissain prenait la direction de la Normandie où un éleveur avait passé commande.Pour le reste, cette sortie en baie d’Yves n’est que sombre bilan. Il s’y confirme la poursuite de la mortalité des moules de taille marchande. L’équipage a pêché sur filières et pieux de bouchots. Sur les premières, 300 kg de moules ont été relevés, quand une récolte normale aurait atteint la tonne. Et sur les 66 bouchots dont il espérerait une production théorique d’1,3 tonne, il y avait à peine 400 kg.

L’argument philosophique

N’en jetez plus ! L’avant-veille en réunion avec les scientifiques, Benoît Durivaud avait bien entendu que vibrio splendidus semait la mort (notons au passage qu’il est inoffensif pour la santé humaine). « Mais nous voulons savoir comment elles tombent malades. Pourquoi par exemple le naissain est-il beau, alors que les moules marchandes meurent ? »Charente-Maritime : pourquoi les moules des pertuis meurent-elles ?Parmi les pistes de sorties évoquées par la recherche, il est question résistance naturelle que les survivantes transmettraient à leur descendance. Benoît Durivaud ne remet pas en question la qualité des recherches menée, mais le producteur ne masque pas son scepticisme : « La résistance est démontrée en laboratoire, je veux bien. Mais les moules qui meurent cette année en mer sont les petites-filles des survivantes de la mortalité de 2014. Comment l’expliquer ? »Quant à l’idée d’accélérer le processus de résistance génétique via les écloseries et en travaillant sur l’hybridation, là aussi le vice-président du Comité régional conchylicole Poitou-Charentes n’est pas mûr pour se laisser convaincre. « C’est un argument philosophique. Aujourd’hui, une moule de bouchot est définie comme issue du captage dans le milieu naturel et produite selon une technique traditionnelle. Je veux bien entendre qu’en écloserie on pourrait disposer de l’arsenal pour la rendre résistante. Mais on n’est surtout pas certain que la résistance produite serait aussi bonne que celle que l’on voudrait nous faire croire. »http://www.sudouest.fr/2016/05/23/pourquoi-les-moules-des-pertuis-meurent-elles-des-pistes-de-sortie-de-crise-2371818-1421.php

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