Samedi 21 mai
On dit que l’éloignement renforce l’affection. Alors permettez-moi de vous dire à quel point j’apprécie de pianoter sur mon clavier pour communiquer avec vous.
Désolé d’avoir récemment brillé par mon silence, mais l’intensité de ces dix derniers jours, depuis la fin de mon traitement de radiothérapie, ne m’a laissé que très peu de temps pour l’écriture.
Bien que je ne sois pas vraiment parti loin, la fin de mon voyage au pays des rayons ressemblait fort à un retour à la maison au bout d’un périple dans des contrées lointaines.
Et comme toujours, rentrer chez soi après un long voyage vous donne une nouvelle perspective sur les choses.
Cela permet entre autres de réaliser le temps que nous passons à faire des choses certes importantes, mais pas primordiales – comme passer l’aspirateur, faire la vaisselle et gagner sa vie.
Une fois sorti de la routine habituelle, tel projet qui paraissait essentiel et urgent peut sembler tout à coup beaucoup moins important. Il faut alors faire un réel effort pour trouver l’enthousiasme et l’énergie nécessaires.
Le retour permanent au tumulte de la vie quotidienne au pays de l’incertitude apporte de nombreuses joies mais aussi quelques frustrations.
Ne serait-ce pas merveilleux si les gens faisaient tout bien dès la première fois au lieu d’avoir à passer plusieurs appels téléphoniques et envoyer de nombreux courriels pour réparer leurs conneries et obtenir que ce soit enfin fait correctement. Ou alors, c’est peut-être juste que je vieillis !
Physiquement, j’ai l’impression d’accuser plus que mon âge (même si j’espère qu’avec le temps cela va s’estomper).
La sieste m’est devenue essentielle. A défaut, je risque de m’affaler et de m’endormir pour un long sommeil en rentrant chez moi en fin d’après-midi – ce qui réduit ainsi les chances de passer ensuite une bonne nuit et augmente celles de tomber dans un cercle vicieux.
Et quand je suis par monts et par vaux, il me semble que je passe les lieux publics au crible avec l’œil d’une personne plus âgée.
La grogne des intestins a cédé la place à un léger marmonnement, mais la fréquence et l’urgence des appels de la nature impliquent que je passe mon temps à repérer où sont les toilettes les plus proches.
J’avais déjà entendu les gens s’en plaindre mais je prends à présent toute la mesure du scandaleux manque de toilettes publiques dans les centres urbains.
Je récupère assez bien l’endurance physique, mais je me rends compte qu’il faut aménager ici et là des petites plages de repos et faire attention à ne pas passer dans la zone rouge. Si cela arrive, ma batterie risque de se retrouver à plat en une fraction de seconde alors qu’il m’en restait au moins 30%.
Et je ne suis pas beau à voir quand mon écran n’est qu’une ennuyeuse dalle noire où seul le voyant de « charge » est éclairé.
Mais tout cela n’est rien à côté de l’émotion pure que procure la liberté.
Il y a près de quarante ans (gloups !), avec un Pass Euro Rail en poche et quatre billets de dix dollars dans ma botte en cas d’urgence, je suis parti faire un grand voyage à travers l’Europe de l’Est, derrière le rideau de fer.
Après trois semaines fascinantes passées dans la rigueur morne de la Hongrie néostalinienne et de la Roumanie de Ceaucescu, j’ai pris un train de nuit et je suis arrivé en Italie par un beau matin radieux et ensoleillé.
Je fus totalement ébloui, séduit et un peu désorienté.
Soudain, le monde regorgeait à nouveau de couleurs, de publicités, de voitures, de gens bien habillés, de rires, de visages souriants et de musique et puis je redécouvrais ce qu’étaient les voitures toujours plus nombreuses, la cuisine savoureuse, le style, la passion et enfin la vie.
Je sais que je viens juste de fêter mon 57ème anniversaire mais au fond de moi, je revis mes 18 ans.