© Vincent Héquet
Dans mon souvenir, il y avait la bibliothèque remplie de livres sur la gauche, un fauteuil au tissus usé à côté la télé en face. On rajoutait des chaises pour pouvoir la regarder. De l’autre côté c’était l’espace salle à manger avec une grande table ; un mobilier massif et une jolie vitrine remplie de trésors.
J’en ai passé du temps dans cette pièce quand j’étais enfant, mais les souvenirs sont maintenant floues, paradoxalement je ne me rappelle que de détails ou d’instants hors du temps. La vieille toile cirée marron avec des motifs géométriques, les parties de petits chevaux et de dames, la senteur des bouquets de Lilas, de roses que mes parents ramenaient à ma grand-mère. Je me souviens du temps que j’ai passé à rêver devant cette vitrine remplie d’œuf, de boîte à musique ou en verre. J’imaginais à qui ils pouvaient appartenir. Je me rappelle aussi le silence, le temps qui passait lentement certains dimanches.
Le salon de ma grand-mère semblait pourtant avoir des pouvoirs magiques, à chaque fois que j’y mettais les pieds, tous mes soucis s’envolaient, mes petits tracas d’enfants, une mauvaise note, un mot dans le carnet. Ma grand-mère me laissait jouer pendant des heures au jeu de l’oie, et m’écouter pester quand je perdais. Elle ne s’énervait jamais toujours avec le sourire, elle m’apportait une douceur un bout de brioche ou une pastille vichy en douce même quand j’étais punie. Elle était capable de m’écouter sans m’interrompre sans pousser des soupirs ou me dire d’en venir au fait comme mes parents. Le bonheur pour la petite pipelette que j’étais déjà à l’époque.
Mes 1ers livres, je les piochais dans cette vieille bibliothèque avec ses livres de toutes les tailles. Aux couvertures colorées, en cuir, en carton, comme un arc en ciel, les San Antonio, les classiques avec les fables, les bibliothèques roses ou vertes. Les fameux malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur, les Guy des cars. Un monde qui s’ouvrait là dans ce petit espace assise tranquille dans le fauteuil défraichit.
Autre souvenir noir et blanc, l’attente devant la série du moment, V avec mon grand père la trouille devant le téléviseur, la peur mais la volonté de faire la grande et de ne pas trembler. Tous ces petits moments du passé qui tourbillonnent maintenant dans ma tête quand je regarde autour de moi.
Ca y est la maison est vidée, il ne reste plus rien de mes bribes d’enfance, que les murs nus, sans vie comme si tout ça n’avait pas existé. Il ne reste plus rien aussi des poupées, cartons empilés au fil des ans.
Le grenier est vide, seule la lucarne au plafond illumine le plancher brut, les chaises et de vieux papiers posés au sol. Je n’ai pas envie de redescendre, de fermer pour la dernière fois la porte qui grince.
De descendre les escaliers en pierre un peu raide qu’à la fin mémé ne pouvait plus utiliser, de voir le vieux poulailler sous l’escalier qui avait connu ses jours de gloire bien avant ma naissance et qui m’a permis d’inventer de nombreuses histoires. D’oublier les groseilliers, les lilas, les rosiers qui entouraient la maison. De ne plus sentir de la joie en respirant la glycine devant le portail de la maison et d’avoir l’impatience de la retrouver.
Terminé, fini, pas de possibilité de revenir en arrière de rembobiner pour redire aux gens qui sont partis qu’on les aime. Le sentiment d’être vide, seule, abandonnée comme cette pièce, d’avoir perdue un peu de son âme avec ce bout d’enfance qui s’en va. Partir, regarder une dernière fois cette maison du bonheur, qui n’est plus qu’une maison et se dire que jamais plus maintenant qu’elle est vendue on ne repassera devant. Pour ne pas effacer ces dernières images, ces souvenirs de joie. S’en aller en laissant tomber le rideau sur son enfance.
©eirenamg