La Petite Dame, Maria Van Rysselberghe, existait avant sa rencontre avec son grand homme, André Gide. Lors des 3èmes Journées Catherine Gide qui se déroulaient les 23 et 24 avril derniers au Lavandou, Martine Sagaert a évoqué le parcours de Maria Van Rysselberghe, et notamment sa formation.
Comment cette femme issue de la bourgeoisie a pu mener sa vie aussi librement ? Pour Martine Sagaert, le milieu familial, entre un père fonctionnaire des chemins de fer qui meurt en 1871, alors que Maria n'a que 5 ans, et une mère qui devient la dirigeante d'une importante maison d'édition et imprimerie belge*, a joué un rôle déterminant.
Sans la couper de la religion, puisque la petite Marie Philomène Monnom racontera plus tard à Béatrix Beck comment elle a perdu la foi un peu avant sa communion solennelle, sa mère l'envoie au Cours d'Éducation pour jeunes filles. Un établissement créé en octobre 1864 à Bruxelles par la pédagogue Isabelle Gatti de Gamont pour soustraire les jeunes filles de l'enseignement religieux dominant.
C'est là qu'elle rencontrera Augustine de Rothmaler qui y enseigne la littérature française, l'anglais, l'allemand. Elle y fera aussi la connaissance de ses amies Marie Closset et Blanche Rousseau, qui avec l'enseignante Marie Gaspar créeront à leur tour des écoles libres, et surtout l'éphémère société secrète des Peacocks. C'est sous ce nom qu'elles apparaîtront d'ailleurs dans une toile de Van Rysselberghe et dans la correspondance de Gide et la Petite Dame.
A son tour, Elisabeth, la fille de Maria et Théo Van Rysselberghe, saura échapper aux conventions bourgeoises, grâce à Maria. « Elle a réussi à faire de sa fille une femme libre et accomplie », comme le souligne Martine Sagaert. Elisabeth qui choisira la voie de l'horticulture, voudra être utile et indépendante, comme sa mère qui s'engage aux côtés de Gide en 1914 dans le Foyer Franco-Belge. La Correspondanceavec Gide révèle qu'elle cherchera même à passer un diplôme d'infirmière en 1917.
Une Correspondance qui confirme aussi les dons d'écriture que Maria Van Ryssleberghe a révélés dans ses Cahiers, ou dans ses rares textes : Il y a quarante ans, Strophes pour rossignol, Galerie privée. Des dons de portraitiste, mais aussi pour saisir et rendre une ambiance, ce qu'elle peut avoir de saugrenu, de dramatique ou d'incommunicable.
Aussi déplorera-t-on avec Martine Sagaert que Maria Van Ryssleberghe ne figure dans aucun dictionnaire de la littérature, dans aucune histoire de la littérature, ni en Belgique, ni en France. Pas même dans le Dictionnaire des femmes belges : XIXe et XXe siècles, d'Eliane Gubin, paru en 2006 chez Lannoo Uitgeverij...
Ses textes « parus sous le voile noir identitaire » pour reprendre l'expression de Martine Sagaert, c'est-à-dire sous le pseudonyme de « M. Saint-Clair » ont trompé jusqu'à Gide lui-même... Et encore dans le Malraux par lui-même de Gaëtan Picon paru en 1953 (réédité à l'identique en 1965 !), peut-on lire un portrait de Malraux par la Petite Dame signé par une certaine... Monique Saint-Clair !
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* Le mystère de cette reprise de l'imprimerie Delvingne-Callewaert en 1885, dirigée par le maître-typographe Félix Callewaert (puis sa fille Octavie — évoquée dans la correspondance de Huysmans avec Camille Lemonnier — de 1870 jusqu'à la mort de celle-ci en 1879), reste d'ailleurs à élucider...