Amours de Léonor De Récondo 5/5 (10-08-2015)
Amours(276 pages) est disponible depuis le 8 janvier 2015 aux Editions Sabine Wespieser et, en version poche, depuis le 6 mai 2016 chez Points (216 pages).
L’histoire (éditeur) :
"L'amour est là où il ne devrait pas être, au deuxième étage de cette maison cossue, protégé par la pierre de tuffeau et ses ardoises trop bien alignées, protégé par cette pensée bourgeoise qui jusque-là les contraignaient et qui, maintenant, leur offre un écrin." Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d'une maison pour écrire un éblouissant roman sur l'épanouissement du sentiment amoureux le plus pur - et le plus inattendu.
Mon avis :
Pour une fois je ne vous parlerai pas (ou peu) de l’histoire parce que Amours doit être lu sans trop en savoir, au risque de de vous gâcher le plaisir de la découverte.
Je vous dirai juste que l’histoire se situe dans le Cher en 1908 et qu’elle concerne Victoire de Champfleuri, mariée depuis 5 ans à Anselme de Boisvaillant. Seconde épouse de ce notaire veuf (après une annonce que ce dernier a postée dans Le chasseur français), Victoire n’est pas heureuse. Elle se sent seule parce que son époux est trop occupé par son étude, elle subit l’acte physique avec dégoût et reste incapable de donner à la famille Boivaillant un descendant. Les choses vont irrémédiablement changer lorsque Céleste, la bonne de 17 ans, tombe enceinte…
« De l’humilité dans les propos, cela allait de soi, mais aussi de l’assurance, car n’était-elle pas madame de Boivaillant, l’épouse du notaire ? Combien de fois, toute jeune mariée, ne s’était-elle pas répété son nouveau nom, cette nouvelle identité qui l’enchantait ? Elle écrivait sans fin, sur une feuille : Victoire de Champfleuri, épouse de Boisvaillant. Comme c’était beau, comme ça sonnait bien, mais comme cela l’ennuyait aujourd’hui. »
« Le cœur de Victoire se serre, car elle sait pertinemment que la seule personne qu’elle pourrait aimer est un enfant. Pourquoi Dieu ne lui accorde-t-il pas cette joie ? »
L’ambiance bourgeoise du début du siècle romantique et réaliste est très bien rendue. J’y ai trouvé des airs de Flaubert dans cette atmosphère que j’ai beaucoup aimés. Fan ou pas de cet univers, je vous conseille chaudement de lire ce magnifique récit qui se révèle d’une fluidité incroyable. Porté sur la suggestion plutôt que dans de longues descriptions, Amours est très très bien écrit.
Il y a une harmonie entre la dureté des scènes et des émotions et la beauté des mots qui vous empêche de reposer le livre. On tombe vite sous le charme de cette histoire qui se lit bien trop vite.
Chaque personnage possède une personnalité propre (sans avoir affaire à des développements à rallonge) que l’on découvre aussi crument que délicatement.
« Sa femme ne se dévêt jamais entièrement. Il ne l’a jamais vu nue, ne l’a jamais touchée complétement. Il hausse les épaules. Il ira à l’essentiel comme toujours.
« Ce soir, tout est pareil. Leurs corps froissent le C de Champfleuri et le B de Boisvaillant entrelacés, patiemment brodés lorsqu’elle confectionnait son trousseau. Un espoir amour qui lentement s’est mué en désillusion. »
« Elle n’avait jamais eu la sensation de véritablement exister et, soudain, elle est deux fois trop. Ce corps étranger qui croit en elle, aussi petit soit-il, semble avoir le pouvoir de tout fracasser, de lui donner envie de mourir là, maintenant. »
Amours est un roman plein de finesse et d’audace qui m’a émue. J’ai été touchée par la relation que vivent Victoire et Céleste, deux femmes que tout oppose (l’une maîtresse de maison, l’autre jeune domestique) et qui pourtant se retrouvent toute deux prisonnières de leur condition.
Amours parle donc de beaucoup d’amours : l’imposé par le mariage, forcé par le viol, profond, passionnel, dévoué, divin et maternel. Rien n’est simple mais Léonor De Récondo dépeint avec pudeur et beauté ce que la morale de ce monde bourgeois du début du siècle ne pouvait décemment pas tolérer.
« L’amour est là où il ne devrait pas être, au deuxième étage de cette maison cossue, protégé par la pierre de tuffeau et ses ardoises trop bien alignées, protégé par cette pensée bourgeoises qui jusque-là les contraignaient et qui, maintenant, leur offre un écrin. Point de velours cramoisi, point d’alcôve confortable, mais un lit de fer et une couverture de laine qui leur gratte la peau. L’éblouissement à la portée de doigts et de langues. »
« De l’amour, elle ne connaît que les assauts brefs et violents d’Anselme. A chaque fois qu’il la prenait, son esprit, dans une prouesse vertigineuse, la menait loin de sa peur et de leurs corps se débattant dans ce désir absurde. »
« Hier, dans le simple le geste d’une main posée sur son épaule, son corps a enfin grandi. Il existe. Il s’est lié à un autre. »
Amours est un petit bijou dont on savoure chaque mot. Sa fluidité et sa concision en sont un point fort autant qu’un point faible. On en voudrait bien plus pour saisir chaque décision et chaque moment à leur juste valeur et que les émotions nous assaillent davantage. Cependant, même si les évènements s’enchaînaient parfois trop vite, ce détail n’enlève rien à la finesse, la grâce et la profondeur de ce très beau livre.