Il a affaibli la gauche comme jamais. Par fracturation méthodique et fragmentation systématique. François Hollande, qui est en campagne, cherche à déjouer le Grand Complot de gauche qui se trame.
Montebourg aussi, peut-être, pas sûr.
La disparition en mer d'un avion de ligne égyptien en milieu de semaine, avec une quinzaine de Français à bord, ravive le sujet terroriste. On attend de savoir. En France, l'unique terroriste rescapé des attentats de Paris en novembre s'est muré dans le silence face aux magistrats instructeurs. Salah Abdeslam est décrit par son avocat comme un crétin à "l'intelligence d'un cendrier vide." Mais l'état d'urgence est plutôt politique cette dernière semaine.
Dimanche, Arnaud Montebourg avait convié, et fait transporter, une grosse centaine de journalistes et photographes par bus entier pour l'écouter au sommet du mont Beuvray ... ne pas annoncer sa candidature à l'élection présidentielle. Là-bas, il lance un "appel" pour "un projet alternatif" en vue de 2017. La mécanique médiatique est trop travaillée. En haut du sommet, il y a un faux parquet, un véritable pupitre. Les paroles de Montebourg portaient heureusement plus loin que ces raccourcis de la presse: " je vois les Français se diviser, s’affronter et se perdre dans des guerres de religion sans issue ; je vois la France, notre chère France chaque jour passer sous la toise des technocrates européens, s’aligner et se soumettre à des intérêts internationaux qui ne sont pas les nôtres, nous exposant plus que de raison."
Il a des éclairs de lucidité: "Le système politique est devenu une grande machine à trahir, il en est épuisé". Il ajoute, en forme de conclusion inachevée: "Je vous propose donc d’élaborer ensemble dans les mois qui viennent le projet que nous voudrions pour la France et pour les Français, et de le faire avec tous ceux qui voudront joindre leurs efforts aux nôtres." Montebourg arrive trop tard. Mélenchon a initié la démarche participative à gauche depuis quelques lustres.
Le cirque médiatique, en pleine campagne, était drôle. Mais comment intéresser la presse ?
Et d'ailleurs, Montebourg est-il sûr d'aller au front jusqu'au bout, c'est-à-dire de lutter contre un président qui l'a déçu, viré, méprisé ?
Nul ne sait.
Le lapsus de Hollande
François Hollande est parti en campagne, qui en doutait ? "Nooon, je suis président de la République", proteste-t-il mardi quand l'un des journalistes d'Europe 1 lui pose la question de sa candidature à sa réélection. Hollande est sur Europe 1, quelque part vers 7h28. "Si je ne suis pas... si la gauche n'est pas reconduite, ce sera la droite qui l'emportera". Le lapsus est énorme, justement repéré par le Petit Journal de Canal+ pour l'une de ses dernières éditions avant la fin ultime de l'émission.
Macron un problème ? "Je lui ai fait confiance", un commentaire au passé, n'en déplaise au président qui nie quand le journaliste Thomas Sotto d'Europe1 relève cette fausse faute d'accord. Quelques jours plus tard, le jeune ministre contredit le chef du gouvernement. Quand Valls menace d'une loi (comme Macron il y a 10 jours) pour réguler la rémunération des patrons, Macron rétorque: "Je pense que c'est un vrai sujet, il faut que ça continue à être un sujet de débat. Mais je pense que c'est un mauvais sujet pour la loi."
Ni de gauche... ni de gauche.
Hollande tente de rester au-dessus de la mêlée. Lutter contre les discrimination face aux handicaps, c'est une belle cause nationale qui mérite une "mobilisation de la Nation toute entière, dans la durée, et au-delà des clivages." Sarkozy en son temps s'était engouffré dans cette brèche-là. En juin 2011, il a avait eu la promesse modeste et décevante lors d'une "grande-messe médiatique" qui n'avait trompé personne. Le 19 mai, Hollande est à son tour à la Conférence Nationale du Handicap, qu'il clot à l'Elysée. A la différence de son prédécesseur, Hollande a la main plus généreuse en fin de mandat: 30 minutes sur l'estrade pour annoncer 35.000 postes d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), dont 6.000 dès septembre; 180 millions d'euros sur 5 ans pour les instituts médico-éducatifs (IME); 15 millions d'euros pour des modernisations informatiques, et encore 8 millions d'euros de "soutien budgétaire". C'est Noël en mai ! Et une manière de faire oublier le report de l'accessibilité aux lieux publics ratifié l'été dernier.
Le complot Macron
Emmanuel Macron prépare sa "grande marche", qui débute le 28 mai. Des milliers de fans du jeune ministre devraient sillonner la France pour récolter des soutiens et, surtout, réaliser une sorte de gigantesque sondage: "Macron compte interroger 100 000 personnes pour nourrir un futur plan d'action" explique le Parisien. L'équipe Macron a pris les services de la start-up française Liegey Muller Pons, specialisée en "stratégie électorale", qui avait déjà orchestré le porte-à-porte national de la campagne de Hollande en 2012.
Emmanuel Macron a besoin de ces artifices de communication pour comprendre le pays, ça en dit long sur le personnage.
Les compteurs sondagiers s'affolent, Macron écrase Hollande dans les intentions de premier tour. Si l'on lit le détail de l'une de ces enquêtes d'opinion, on découvre que Macron séduit minoritairement parmi les électeurs de Hollande de 2012 - 2 sur cinq), mais y agrège un tiers de ceux de Bayrou.
A l'Elysée, la fuite des cerveaux et conseillers s'accélèrent, comme si une panique discrète avait saisi les proches du président. Pas moins de 10 départs en quelques semaines, à un an de la présidentielle (un général, un directeur de cabinet, le chef du protocole, les conseillers Afrique, Affaires économiques et financières, Climat, agriculture, etc.), soit plus que sous Sarkozy à la même période !
Dans les colonnes du Monde, en fin de semaine, dix ex-ministres du quinquennat sabordent l'entretien radiophonique du président par leurs critiques sur sa méthode, ses revirements depuis 2012, mais aussi l'impréparation du parti socialiste, ou "l'absence de ciment politique dans l'équipe" (Benoît Hamon). Trahison et amateurisme, voici ce qu'il faudrait retenir de François Hollande.
Les ravages de la loi Travail
Les historiens s'interrogeront plus tard pour comprendre comment le premier président social-libéral de la Vème République s'est décidé à moins d'un an de la fin de son mandat à casser l'un des derniers vestiges du Code du travail - le primat de l'accord de branche sur les accords d'entreprise en matière de conditions de travail.
"En juillet, il faut bloquer la loi El Khomri. Imaginez ça : un code du travail différent par entreprise !" Jean-Luc Mélenchon, 19 mai 2016Hollande risque le renversement de son gouvernement, des élections législatives anticipées, et une crise politique avant l'heure. A moins que l'affaire ne soit calculée pour prendre de vitesse ses adversaires les plus redoutables: Alain Juppé, qui n'a pas encore gagné les primaires de droite de novembre prochain ou Emmanuel Macron qui lance à peine son parti pour prendre date.
Politiquement, la loi EL-Khomri suit son examen, cette fois-ci au Sénat. Quand elle reviendra à l'Assemblée pour un vote définitif, le risque d'un nouveau raté est réel. L'opposition de gauche espère bien renverser le gouvernement. Il lui avait manqué deux voix pour déposer une motion de censure la première fois. Il faudrait qu'enfin tous les frondeurs frondent enfin. Et réellement.
A l’Élysée, on surveille ce "complot de gauche" comme le lait sur le feu. Et on fait tout pour torpiller, déstabiliser, affaiblir les critiques. La dernière manœuvre hollandaise fut la sortie de 6 députés éconologistes pro-gouvernementaux du groupe EELV à l'Assemblée. Conséquence, le groupe écolo disparaît, faute de membres en nombre suffisant. Et avec lui la représentation des écolos au sein des commissions parlementaires, et une baisse de leur temps de parole dans l'hémicycle. Cette dernière attaque contre EELV ou ce qu'il en reste serait, à en croire certains, la réponse du berger à la bergère, une riposte après l'affaire Baupin. La révélation au grand jour du comportement jugé harceleur du vice-président écologiste à l'encontre de camarades de son propre parti a été vu par l'intéressé comme un complot politique des écologistes hostiles à Hollande. On croit rêver, mais le cauchemar est réel.
Dans la rue, les conséquences de la loi El-Khomri sont un jeu de cons qui n'a pas fini de durer.
Jeu de cons
L'image est saisissante. Une voiture de police coincée dans un embouteillage, et soudain un homme masqué et vêtu de noir lui brise la vitre avant côté conducteur, puis un autre frappe le véhicule à coups de barre de fer, puis un troisième enflamme l'arrière grâce à un fumigène. Le conducteur sort, et esquive à quatre reprises les frappes de l'un des assaillants.
Son sang-froid mérite médaille.
Vingt-quatre heures plus tard, quatre personnes sont arrêtées, rapidement qualifiés d'"antifa". La presse a besoin d'étiquette pour amalgamer la réalité. Les suspects sont présumés innocents, mais la messe (médiatique) est pourtant déjà dite.
Ce dérapage, gravissime, intervient en marge d'une manifestation interdite de quelques 300 personnes à Paris, contre les violences policières.
Tous les ingrédients du jeu de cons sont réunis.
Depuis des semaines, poussées par des consignes qu'elles ne comprennent pas toujours, les forces de l'ordre font preuve d'une force disproportionnée rendue légale par l'état d'urgence contre des manifestants de Nuit Debout ou les protestataires contre la loi El-Khomri. En face, quelques poignées de "casseurs de flics" et autres vandales; des militants radicaux ou de simples racailles qui étrangement parviennent à se glisser dans les manifestations.
Et au milieu de ces provocateurs de tous bords, de simples citoyens, de tous âges et de tous milieux, qui ne cherchent qu'à débattre, et protester contre une énième loi ou un quinquennat tout entier.
On sait qui perd quand la violence se déchaîne.
"L’Etat doit prendre ses responsabilités, ne pas nous laisser attendre des heures face à des casseurs identifiés, qu’on pourrait même peut-être préventivement assigner à résidence dans le cadre de l’état d’urgence ou interpeller. (...) "Je pense que ça vise aussi à discréditer le mouvement social et syndical parce qu’évidemment, lorsque des syndicalistes manifestent contre un texte et qu’il y a des casseurs qui cassent tout dans le quartier, que les riverains sont exaspérés et que la police ne peut pas rapidement intervenir, et bien ça discrédite aussi quelque part le mouvement social." Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat policier Alliance, 5 mai 2016.
La réalité de droite.
Pendant que Hollande surveille les progrès et les ratés de ce Grand Complots de Gauche, il néglige la réalité, c'est-à-dire cette impuissance assumée face aux bêtises injustes du capitalisme national.
Depuis quelques jours, dans les couloirs feutrés du siège du MEDEF, on essaye ainsi de contenir un incendie médiatique provoqué par le bonus de quelques dizaines de siècles de SMIC que le conseil d'administration a octroyé au patron de Renault contre l'avis de l'Assemblée générale des actionnaires. On transpire, on couine, on fait mine de s'indigner. Et quand le MEDEF se fâche très fort contre l'un des siens, ça donne cela - ne souriez pas:
"Le Haut Comité estime que l'esprit du Code AFEP-MEDEF et les principes de la démocratie actionnariale imposent que le conseil d'administration, après consultation des principaux actionnaires pour mieux comprendre leurs attentes, décide d'introduire des évolutions significatives du mode de rémunération, dans le sens des recommandations que le Comité a formulées."
En France, le revenu annuel d'un grand patron oscille entre 600 et 1100 fois le SMIC. On est assez loin des contre-exemples sportifs ou culturels rapidement bafouillés par quelques éditocrates libéraux pour "excuser" ces outrances. Raboter le salaire de Carlos Ghosn ne changera ni la situation de Renault ni celle du pays. Mais ces exemples outranciers d'une France qui se gave tout en réclamant, dans une novlangue techno-libérale pour enrober son propos, que les plus mal lotis le soient encore davantage au nom de la compétitivité a quelque chose d'indécent qui brise la République.
L'aggravation de la précarité en France, y compris sous le quinquennat de François Hollande, est une réalité: les inégalités salariales et plus généralement de revenus, ont progressé malgré la crise. Comme le rappelle l'Observatoire des inégalités,le nombre de bénéficiaires du RSA a bondi de plus de 600 000 personnes entre 2008 et 2015. A fin décembre dernier, quelque 1,9 million de personnes le percevaient. Soit environ 6 millions de personnes en France qui vivent avec des minima des sociaux. Pire encore, on compte désormais plus d'un million de travailleurs pauvres, soit gagnant moins de 800 euros par mois.
Fractionnement des emplois, temps partiels, ou gel des bas salaires, ces facteurs sont rarement explicités, détaillés, portés sur le devant de la scène. Ils sont pourtant connus, ils ne sont pas nouveaux. On préfère débattre du "coût du travail", ou se féliciter de la baisse du nombre de sans-emploi (qui masque l'augmentation du travail partiel). Mais parfois l'actualité joue des tours à ces irréductibles de la doxa libérale qui truste le débat politique.
Ainsi pouvions-nous remercier Carlos Ghosn. Encore faudrait-il débattre sereinnement du sujet qui, bien sûr, sera brouillé dans un brouhaha d'exemples et d'anecdotes destinés à effacer la réalité. Melenchon tente de préciser l'arnaque: "depuis l’arrivée des auto-entrepreneurs, la classe patronale est devenue un plus grand fourre-tout où, comme d’habitude, les gros sont cachés derrière la masse de petits qui leur sert de bouclier."
Le 18 mai, dans une tribune publiée par Libération, 40 personnalités politiques et patronales réclament ainsi une loi "pour qu'un patron ne perçoive pas plus de 100 Smic".
"On nous objectera qu’à cause de cette loi, les investisseurs étrangers vont être découragés d’investir en France. On répondra que ces derniers profiteront d’un vivier de dirigeants «bon marché»." Les signataires.Le lendemain, Manuel Valls approuve. Pourquoi n'a-t-il rien fait ? Laurence Parisot, ex-présidente du MEDEF, signale son désaccord: "il faut s’y prendre autrement." Pourquoi n'a-t-elle rien fait ? Pierre Gattaz lâche une formule creuse qui n'engage pas grand monde: "nous avons décidé que le vote doit être impératif". En réalité, les entreprises restent libres de suivre, ou pas, les recommandations du MEDEF en matière de gouvernance.
Tandis que Hollande surveille ce Grand Complot de Gauche, les candidats de droite se préparent et, parfois, nous font rire. Nicolas Sarkozy continue son one-man-show parsemé de gaffes, buches et bêtise. La dernière, qui fit bien rire sur les réseaux sociaux et dans les bistrots, fut cette confidence méprisante lâchée en public: " Quand je suis en Angleterre, si vous saviez comme je me sens Français... Et quand je suis dans les territoires et les provinces de France, si vous saviez comme je me sens Parisien!"
L'un de ses rivaux, Jean-François Copé, est le premier à déposer les parrainages nécessaires à sa candidature aux primaires de novembre. "Il faut me calculer un peu", réclame-t-il aux médias. Sa cote sondagière est si basse que Copé, qui fut omniprésent pour la sortie d'un bouquin où il clamait sa modestie et son abstinence médiatique (sic!), s'énerve. Alain Juppé, toujours favori des enquêtes, multiplie les surenchères libérales, comme cette suppression des rémunérations supplémentaires des heures entre 35 et 39 heures par semaine.
La primaire à droite vire aux extrêmes.
C'est certainement le retour du clivage droite/gauche.
Mais lequel ?