Mes étoiles noires, de Lilian Thuram

Par Liss

" Si toute la population des Etats-Unis recevait une éducation correcte - je veux dire, si on lui faisait un tableau fidèle de l'histoire et de l'apport des Noirs -, je crois que bon nombre de Blancs auraient plus de respect pour le Noir en tant qu'être humain. Sachant ce qu'a été l'apport des Noirs à la science et à la civilisation, le Blanc abandonnerait, au moins partiellement, son sentiment de supériorité. Du même coup, le sentiment d'infériorité qu'éprouve le Noir ferait place à une connaissance de soi bien équilibrée. Le Noir se sentirait plus homme... "

Ces propos de Malcolm X, cités par Lilian Thuram dans le chapitre qu'il lui consacre dans son livre Mes étoiles noires, résument très bien l'esprit de cet essai. Le constat fait par l e leader américain au milieu du XXe siècle, est toujours valable aujourd'hui et dans le monde entier. Partout l'homme noir est placé au bas de l'échelle humaine, alors même que c'est déjà en soi une aberration de parler d'échelle humaine, comme s'il y avait des hommes plus importants que d'autres, ou dignes d'être placés en avant par rapport à d'autres à cause de leurs réalisations. Or les découvertes ou les grandes réalisations ne sont pas l'apanage d'un seul pays, d'une seule population ; et lorsqu'un ressortissant de tel pays fait preuve d'une intelligence particulière dans tel ou tel autre domaine, c'est toute l'humanité qu'il fait avancer.

Mais les Noirs ont-ils fait avancer l'humanité ? Ont-ils participé de quelque manière que ce soit à la grande marche de l'homme vers le progrès, vers un monde meilleur ? Pour la majorité, la réponse est sans ambiguïté : les Noirs n'ont RIEN apporté à la civilisation, ils n'ont rien inventé, ils n'ont rien fait qui mérite d'être inscrit dans le livre d'or des exploits humains. Un président français n'a-t-il pas déclaré que les Noirs n'étaient pas entrés dans l'Histoire ?

Lire Mes étoiles noires, de Lilian Thuram, c'est découvrir les nombreuses pages écrites en lettres d'or par les Noirs dans le livre de l'humanité, c'est comprendre que ces derniers sont tenus à l'écart de leur propre histoire et que cette ignorance contribue à renforcer le manque d'estime qu'ils nourrissent vis-à-vis d'eux-mêmes. Chaque fois qu'un homme ou une femme noire a fait quelque chose de valable, l'action a souvent été contestée, ou s'il n'y a pas moyen de réécrire l'histoire, eh bien ces actions sont minimisées ou ignorées. Les chapitres comme "Le premier homme au pôle Nord" ou "Champion du monde, Battling Siki" sont très édifiants. En lisant un chapitre comme "Le génie des découvreurs : Scientifiques, inventeurs, chercheurs...", on a vraiment envie de crier au complot ! Comment comprendre qu'aucun de tous ces hommes et ces femmes noires qui ont fait des découvertes ingénieuses, aucun ne figure dans les manuels scolaires, et pourtant il y en a des dizaines et des dizaines !

La seule explication que l'on puisse avancer, c'est que l'homme noir doit demeurer dans la méconnaissance de tout ce que de valeureux Noirs ont fait, non plus dans le domaine sportif où il apparaît "naturel" que les Noirs se distinguent, mais dans celui de la science ! L'ignorance est le meilleur allié de celui qui veut rester perpétuellement dans la position de celui qui domine les autres, sans craindre une mise en cause de sa prétendue supériorité.

Les complexes sont donc soigneusement entretenus de part et d'autre, or les complexes n'ont jamais été le meilleur moyen de parvenir à une société épanouie. Le malheur de l'humanité vient de ce que les uns croient à tort que leur bien-être doit ou peut se construire indépendamment de celui des autres, or nous sommes tous liés d'une manière ou d'une autre !

Changer le regard, telle est la prouesse Lilian Thuram dans ce livre que l'on devrait faire lire à tant de jeunes pour qu'ils apprennent à relever la tête et avoir plus d'estime pour leurs origines.

Lilian Thuram, Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama, Editions Philippe Rey, 2010, 500 pages, 7.80 €.