L’œuvre de Roland Topor, depuis longtemps épuisée, revient progressivement dans les rayonnages grâce aux Editions Wombat. Celles-ci viennent d’en publier deux nouveaux volumes que les amateurs devraient s’arracher. Le premier est un roman au titre trompeur : Joko fête son anniversaire (Wombat, 124 pages, 14 €). Trompeur car il ferait volontiers penser à un conte pour enfants, alors qu’il met en scène de mystérieux et puissants congressistes qui, dans une ville imaginaire, se font transporter à dos d’homme pour quelques pièces d’or par les ouvriers d’une citerne locale. A mi-chemin entre la dialectique du maître et de l’esclave et le discours sur la servitude volontaire, ce texte à l’épilogue sanglant réserve, comme souvent chez l’auteur, une belle part à l’absurde, à l’humour grinçant, au sexe. Il traite aussi, en filigrane, de la cruauté des rapports sociaux dans un monde fantasmé qui, in fine, ressemble furieusement au nôtre. A sa sortie, en 1969, ce livre fut couronné par le prix des Deux-Magots. Il fut ensuite porté au théâtre.
Et c’est précisément à cet art scénique qu’est consacré le second ouvrage, Théâtre panique (Wombat, 256 pages, 20 €), premier tome d’une série qui propose ici trois pièces emblématiques définies comme « une trilogie du sang, du sexe et de la merde ».
Rien n’arrête Topor, agitateur iconoclaste, à travers son exploration de la nature humaine dans ce qu’elle offre de plus sombre. L’époque – les années 1970 – était bien plus propice que la nôtre à cet exercice, car il ne se trouvait guère d’associations d’accros de la moraline pour intenter un procès. Seule la critique s’exprimait et ne ménageait parfois pas son indignation devant ce déluge de thématiques provocatrices et d’autant plus dérangeantes que l’auteur les traitait sous l’angle du rire cruel, du loufoque inattendu, de l’outrance sans fard.
Ainsi, dans Le bébé de Monsieur Laurent, on cloue un nourrisson à une porte devant laquelle se succède une galerie de personnages bien moins choqués que curieux, dans une suite de très courtes scènes hilarantes. L’humour ultranoir de Topor dépasse ici celui de Jonathan Swift qui proposait, dans son pamphlet comique Modeste proposition pour empêcher les enfants pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public (1729), de manger ces bébés à l’âge d’un an… Dans Fatidik et Opéra (« pièce écœurante en quinze reprises »), un couple s’enlace dans des ébats successifs et passionnés jusqu’au dernier tableau. Quant à la troisième pièce, Vinci avait raison, son intrigue purement scatologique traitée en parodie du théâtre boulevardier provoqua l’ire de la presse belge lorsqu’elle fut jouée pour la première fois à Bruxelles. Le livre inclut d’ailleurs un débat télévisé fictif dans lequel l’auteur, par jeu, devance les critiques les plus sévères et les plus conservateurs.
On retrouve dans ces pièces, non seulement l’approche si singulière qu’affectionnait Topor, mais aussi des références au Dadaïsme, au surréalisme et au théâtre de l’absurde articulé autour d’Alfred Jarry, de Ionesco ou de Jean Tardieu, sans parler du « spectacle total » théorisé par Antonin Artaud. Prestigieux compagnonnage.