Cette dette atteint aujourd’hui des sommets inconnus en période de paix, et à tout le moins son niveau le plus élevé, en termes relatifs et absolus, depuis la seconde guerre mondiale. Or, singulièrement, le risque associé à l’importance de cette dette publique n’est pas reflété dans le taux d’intérêt. Pour s’en convaincre, il suffit de penser au fait que l’Etat belge a émis un emprunt (certes modique) d’une maturité d’un siècle à un taux nominal de 2,3 %. Si l’objectif de la Banque centrale européenne d’atteindre un taux d’inflation de 2 % est réalisé (et il le sera au terme des politiques d’assouplissement monétaire), cela signifie que le risque associé à l’Etat belge et la rémunération réelle des créanciers (c’est-à-dire leur rémunération pour la dépossession de l’épargne) est de 0,3 %. A l’intuition, ce montant est insuffisant. Il est donc probable, sinon certain, que la prime de risque souveraine, c’est-à-dire l’exigence de rémunération pour prêter à des Etats dont l’endettement augmente structurellement, va augmenter.
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Un chiffre est, à cet égard, révélateur : la dette publique de la zone euro a quasiment augmenté de 50 % en dix ans, soit à un taux largement supérieur à l’objectif d’inflation de 2 %. Il y a donc eu une augmentation réelle de cette dette à un rythme qui excède la dépréciation de la monnaie alors que les taux d’intérêt baissaient. C’est une contradiction. Inversement, on pourrait argumenter que les taux d’intérêt doivent rester bas car les Etats, qui sont à la corde budgétaire, ne peuvent pas s’en permettre l’augmentation. C’est d’ailleurs cette perspective qui a conduit la Banque centrale européenne à créer de la monnaie en prenant en gage des obligations d’Etat, c’est-à-dire en les monétisant. Mais les lois du marché ont leur dynamique propre : les programmes de monétisation auront un terme et le risque ne peut pas indéfiniment être camouflé par des injections monétaires. Le seul recours qu’auront les Etats pour s’assurer un financement à taux d’intérêt bas serait de forcer, par différentes mesures réglementaires déjà appliquées, les banques et entreprises d’assurances à souscrire leurs obligations. C’est ainsi que les dettes d’Etat sont considérées comme exemptes de risques, et donc ne nécessitant aucune garantie en capitaux propres pour les institutions financières, contrairement à toute autre contrepartie privée. Mais là aussi, il y a une contrainte : sans prise de risque, les institutions financières ne peuvent pas offrir un rendement satisfaisant à leurs déposants, titulaires d’assurances-vie et actionnaires, sauf à envisager une nationalisation ouatée de tous les circuits financiers. La réponse est nuancée. Une augmentation brutale des taux est peu probable, car elle serait contrecarrée par les banques centrales. Au reste, elle pourrait avoir un effet dévastateur sur les marchés d’actifs. Sur base de données moyennes, la valeur des marchés d’actions et d’obligations pourrait baisser de l’ordre de 10 % en cas d’improbable hausse brutale des taux d’intérêt à long terme d’un pourcent. Par contre, une augmentation progressive des taux serait l’annonce d’une normalisation monétaire et donc un signe positif d’extraction d’un contexte extrêmement singulier. Dans cette dernière hypothèse, les taux seraient progressivement augmentés par une action haussière sur les taux à court terme, qui se diffuserait par capillarité sur les taux d’intérêt à long terme. Si cette augmentation des taux d’intérêt correspondait à une pression inflationniste, l’effet négatif en serait atténué. En conclusion, quel que soit l’angle d’approche, la rigueur intellectuelle conduit à devoir envisager une hausse des taux d’intérêt à long terme. Il n’est donc pas raisonnable de considérer que le contexte actuel puisse perdurer.
A propos de l'auteur : Bruno Colmant est chef économiste au sein de la Banque Degroof Petercam.