Des territoires zéro chômage ?

Publié le 20 mai 2016 par Raphael57

À ceux qui affirmaient que "contre le chômage, tout a été essayé", un démenti vient d'être apporté par une nouvelle expérimentation appelée Territoires zéro chômeur de longue durée. Votée à l'unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale et soutenu par le CESE, sa mise en oeuvre est prévue pour la rentrée 2016. Après vous avoir parlé de la rémunération des grands patrons précédemment, ce billet sera par conséquent l'occasion de revenir à la vraie vie en analysant les tenants et aboutissants de ce projet de lutte contre le chômage !

Le chômage de longue durée

Selon l'INSEE, un chômeur de longue durée est un actif sans emploi (ou en activité réduite selon les catégories B et C de Pôle Emploi) depuis plus d'un an. Et au-delà de deux ans, on parle même de chômage de très longue durée. Les derniers chiffres fournis par Pôle Emploi pour l'année 2015 font état d'une augmentation du nombre de chômeurs de longue durée de 9,5 % sur un an. Désormais, ils sont 2,466 millions, soit 45 % des inscrits !

[ Source : Les Échos ]

Si l'on adopte la définition de Pôle Emploi, qui appelle chômeur de longue durée toute personne inscrite sur les listes de Pôle Emploi au moins 12 mois au cours des 24 derniers mois, alors on obtient cette carte de France (du vide salarial) :

[ Source : Pôle Emploi ]

Quant à l'évolution du chômage de très longue durée, elle est proprement affolante :

[ Source : Le Monde ]

Pourquoi le chômage de longue durée est-il un problème épineux ?

Quelle que soit la raison invoquée pour expliquer le chômage de longue durée (absence de diplôme, absence de qualification, localisation géographique, etc.), le phénomène tend évidemment à éloigner définitivement ces actifs de l'emploi. Et la destruction des emplois intermédiaires, conjuguée à un délirium tremens numérique, ne va qu'aggraver la situation...

Outre les conséquences que cela peut avoir sur la vie familiale et sociale de ces personnes (Freud ne disait-il pas que le travail est ce qui nous unit aux autres hommes ?), une étude américaine souligne les conséquences lourdes du chômage de longue durée sur la personnalité... De plus, un tel sous-emploi des forces vives du pays débouchera inévitablement sur une baisse de la croissance potentielle, cette dernière étant définie comme celle qui réalise le niveau maximal de production sans accélération de l'inflation, compte tenu des capacités de production et de la main d'oeuvre disponibles.

Les initiatives actuelles du gouvernement

Face à ce constat d'aggravation du chômage de longue durée, François Hollande vient d'annoncer un plan d'urgence de lutte qui persiste dans les voies (de garage) classiques :

 * baisse des cotisations patronales sur les bas salaires (CICE) ;

 * renforcement du suivi par des agents Pôle Emploi déjà dépassé par le nombre de chômeurs ;

 * formations de 500 000 chômeurs en plus, alors même que le système de formation dans son état actuel (i.e. calamiteux) ne permet pas d'absorber de tels volumes à court terme ;

 * corollaire du point précédent, les formations viseront les secteurs du numérique, de la croissance verte et les secteurs traditionnels sous tension ; c'est toujours autant de chômeurs qui quitteront subrepticement la catégorie A pour s'en aller en catégorie D, invisible dans les statistiques mensuelles commentées par le gouvernement ;

* prime à l’embauche, sous conditions, de 2 000 euros par an pour les entreprises de moins de 250 salariés qui recrutent un salarié ;

 * renforcement des aides de Pôle emploi à la création d’entreprise (se mettre à son compte lorsque la demande est en berne, en voilà une idée lumineuse...)

 * plus grande ouverture du contrat de professionnalisation aux chômeurs et bien entendu aide à l'apprentissage après les cafouillages depuis 2 ans ;

J'avais par ailleurs analysé dans ce billet pourquoi la flexibilisation à outrance du marché du travail était une erreur.

Territoires zéro chômage de longue durée

Cette idée est née dans l'esprit de militants de l'insertion et se trouve désormais portée par ATD Quart Monde. Elle part du constat suivant, qui mérite réflexion :

"Le projet proposé par ATD Quart Monde s’inscrit dans un pays où les choix d’organisation économique permettent à une majeure partie de la population d’obtenir un emploi et de vivre dignement mais où, dans le même temps, ces choix privent durablement plusieurs millions de personnes d’emplois ou les contraignent à accepter des emplois précaires dans des conditions qui ne permettent pas une existence digne".

Bref, personne n'est inemployable, mais ce sont des choix d'organisation économique, faits volontairement par des gouvernements (c'est là le point nodal), qui expliquent la situation actuelle. Ces choix, pour faire simple, consistent essentiellement à laisser un certain capitalisme broyer l'économie réelle au profit d'une finance à qui on a laissé la bride sur le cou !

ATD Quart Monde affirme ainsi qu'il serait plus avantageux pour la société de réorienter l'argent dépensé pour compenser le chômage (selon leur étude, 15 000 euros par personne et par an), vers le financement des emplois manquants en assurant de bonnes conditions de travail. Ce faisant, elle rappelle un point que j'avais développé dans un précédent billet, où j'insistais sur le fait que le chômage n'est pas qu'un chiffre dont certains se servent pour occulter à dessein toutes les questions de qualité de l'emploi et de déclassement professionnel.

En pratique, le projet d'ATD Quart Monde consiste à expérimenter pendant 5 ans la création d’emplois en CDI et payés au moins au SMIC, pour les chômeurs de longue durée qui seraient volontaires. Elle concernerait au départ 10 territoires et tous les entrepreneurs, qu’ils soient de statut public, associatifs ou à but lucratif :

[ Source : Courrier des Maires ]

La personne embauchée le sera donc en CDI, appelé "emploi-formation disponible, ce qui signifie :


• que l’emploi qui lui est proposé est conçu pour lui permettre de monter en compétences (transfert de savoir-faire par les collègues, mobilité entre différents postes de travail, formation externe…) ;


• qu’il reste disponible pour évoluer vers un emploi en entreprise « classique » et doit donc demeurer ouvert aux propositions qui pourraient lui être faites en ce sens..."

Les entreprises conventionnées, c'est-à-dire celles qui s’engagent à créer des conditions adaptées pour employer ces chômeurs, toucheront par conséquent une subvention pour compenser la moindre productivité du salarié embauché et la solvabilité faible des services ou produits qu’elles offrent. En effet, tout l'enjeu est de ne pas entrer en concurrence frontale avec des emplois existants, au risque évidemment de laminer les secteurs non subventionnés.

Il faudra donc cibler des emplois dont la rentabilité marchande n'est pas assurée, car "aucune concurrence déloyale n’est possible avec les produits existants, car ce serait en fin de compte une concurrence entre emplois" ! Ce pourrait même être un effet d'aubaine pour certaines entreprises ... La question sera alors de savoir comment se comporteront les entreprises conventionnées, lorsqu'un nouveau secteur prometteur se développera. Cela équivaut à se demander sous quelles conditions les entreprises privées accepteront de devenir partenaire du projet (cadre de la RSE, développement subventionné de nouvelles activités, etc.) et comment ne pas stigmatiser le chômeur.

Et afin de promouvoir le projet, recenser les personnes susceptibles d'en bénéficier, arbitrer les éventuels conflits de concurrence, etc., chaque territoire zéro chômage comportera un comité local de pilotage de l'expérimentation. Quoi qu'il en soit, il faudra un peu de temps avant de savoir si l'expérimentation est concluante.

Mais d'ores et déjà, malgré la qualité du projet, il faut garder à l'esprit qu'on vise 1 500 à 2 000 créations de postes dans cette première phase, où seuls l’État et les quelques collectivités volontaires citées ci-dessus abonderont le fonds (l'Unédic ne semble pas encore associer à ce stade de l'expérimentation). En outre, le bouclage du financement me semble un tantinet difficile à mettre en oeuvre, puisque les sources de financement sont très différentes, donc dépendantes de décideurs pas toujours enclins à dialoguer ensemble. Et après les 5 ans, le CDI s'arrête-t-il ? L'ancien chômeur devient-il un nouveau chômeur ?

En définitive, on ne peut que soutenir ce projet, car il part d'un constat juste, cherche à proposer de nouvelles solutions pour lutter contre le chômage et s'appuie sur une expérimentation qui viendra, ou non, en étayer la pertinence. Une chose est certaine : contre le chômage, tout n'a pas été essayé !