Les aides à l'agriculture s'élèvent à plus de 10 milliards d'euros par an. Soit en moyenne 30 000 € par exploitation car l'Hexagone n'en compte plus que 320 000, selon le Conseil d'analyse économique (CAE). A ces aides s'ajoutent des avantages fiscaux. Question : ces dépenses profitent-elles au pays ?
La réponse est terrible. Elle n'émane pourtant pas d'écologistes mais de trois économistes du CAE au service de Matignon, qui se sont livré à un examen dépassionné et indépendant de la situation. Leur constat est formulé dans une note de décembre 2015 intitulé " L'agriculture française à l'heure des choix ".
Des atteintes à l'environnement parfois irréversibles
L'agriculture détruit l'environnement, selon le CAE. Son constat est grave. " Les dégradations de l'environnement liées à l'agriculture ont d'ores et déjà atteint un point critique dans nombre de zones agricoles, et certaines sont irréversibles ", écrit-il.
En cause : la pollution de l'eau par les nitrates et pesticides et une irrigation peu économe qui menace les nappes phréatiques du Centre et du Sud-Ouest notamment. En cause encore : une déstructuration des sols devenus moins fertiles et qui risquent l'érosion (stérilité), la disparition de prairies riches en biodiversité et qui limitent les crues en cas de fortes pluies.
Les conséquences pourraient se chiffrer en milliards d'euros
S'y ajoutent les atteintes à la biodiversité avec la disparition des papillons (50% en 20 ans) et l'effondrement des populations d'oiseaux communs, plus forts en zone agricole.
" Les menaces sur les populations d'insectes (...) représentent des coûts potentiels pour la société de plusieurs milliards d'euros ", insiste le Conseil. C'est pourquoi il ajoute : " la protection de l'environnement est aussi un impératif économique ".
Le CAE conclut : " Dans une optique de long terme, c'est la dégradation du capital naturel qui nous semble la plus alarmante. Elle est en effet souvent irréversible, et quand ce n'est pas le cas, elle est généralement plus facile à prévenir qu'à corriger. En outre, elle risque d'engendrer des coûts différés, potentiellement bien supérieurs aux bénéfices de court terme ".
D'autant que les résultats économiques ne sont pas au rendez-vous. L'agriculture et l'agroalimentaire français ne font pas mieux que leurs voisins sur le plan commercial, observe le conseil. Le leadership de la France dans la consommation de pesticides ne lui donne aucun avantage. Les fermes disparaissent de plus en plus vite, les agriculteurs sont les premières victimes de ce système.
Encourager une agriculture qui profite à tous
La CAE enfonce le clou avec cette formule : " la préservation de l'environnement n'est pas un luxe en agriculture ". Il recommande un changement de Cap. Comment ? Par une véritable taxation des externalités négatives -entendez les coûts que l'agriculture engendre et ne supporte pas- et au contraire une rémunération des aménités, c'est-à-dire les bienfaits dont elle fait profiter tout le monde. Plutôt que de rémunérer les producteurs, les aides iraient aux résultats de leur travail. Ce qui encouragerait -enfin- les pratiques vertueuses de l'agriculture biologique. Jusqu'à maintenant, aucun organe officiel n'avait osé suggérer de tels critères de rétribution car c'est déclarer la guerre à l'agriculture productiviste qui cogère le secteur avec les gouvernements depuis des décennies. Le courage du CAE est donc à saluer..
Anne-Françoise Roger
Lire le rapport du Conseil d'analyse économique "L'Agriculture française à l'heure des choix"