Trop de textes et d’articles ont déjà été écrits, à cette heure sur Lemonade, le dernier album de Beyoncé. Nous avons voulu ici nous focaliser sur la prise de parole comme acte politique, et comme affirmation de son identité noire.
La prise de paroles des subalternes passe par une violence discursive et visuelle. Les artistes afro-américains, généralement, s’approprient la parole en mettant dans leur énonciation la violence, l’indignation. Les jeux de déviances, de détournement caractérisent leur parole. La parole enfin appropriée devient un règlement de compte, qui comprend les rappels aux conflits raciaux (de la part des subalternes) et leurs réponses à ceux-ci.
Cette prise de parole se veut non élitiste. Elle tend à profaner l’usage du sacré, le sacré des mots, des
Beyoncé l’album éponyme que l’artiste a sorti en 2013, porte un titre-hommage à sa fille, intitulé Blue, qui relate son histoire de mère, et d’autres textes relatifs à sa sexualité assumée post-partum.
Nous pouvons citer dans ledit album, comme titres personnels, (relatifs à la femme et ses rapports avec l’homme) les titres Sorry, Hold up, Pray you catch me, Love Drought, Sandcastles, et All Night, comme titres-thérapie de couple. La chanteuse tisse tout le long de l’album visuel de 12 titres une histoire de relation trouble entre deux partenaires, et leur voyage jusqu’au pardon. Le ton abordé de même que l’allure/attitude de Beyoncé dans cet album est différent des premiers (quoiqu’elle ait changé de paradigme depuis I am… Sasha Fierce). Il est plus osé, et la chanteuse utilise les codes comportementaux généralement affiliés aux Noirs des ghettos, comme les ‘injures’, les gestes larges, amples, les paroles plus grossières qui renvoient à des images fortes. Des expressions de femme en colère renvoient au cliché de la ‘angry black woman’, cette femme en colère et indélicate qui est présente dans les séries et films afro-américains, presque masculine par ses abords. Le message véhiculé par Beyoncé dans cet album est un ‘retour aux sources noires’. Elle utilise donc tout ce qui peut l’aider à recréer en image, et de manière sonore cette image noire afro-américaine.
Le langage employé dans Lemonade est celui d’une communauté noire, qui dans son ensemble se bat avec l’injustice et la perte de repères dans l’intimité conjugale. Lemonadeparle d’une communauté qui se débat à tous les niveaux, mais surtout de la femme noire dans ses troubles extérieurs (sociétaux) et intérieurs (conjugaux). Tout fonctionne comme si le questionnement du couple aurait amené l’artiste à se questionner sur son identité, sa culture profonde ; et l’aurait donc poussé à rechercher ses racines afro-américaines et africaines. Si les autres albums étaient souvent un peu plus ‘dansants’, Lemonade lui se veut plus porté sur le message. Il répond aux déconvenues de la communauté afro-américaine. La voix même de l’artiste est plus grave, chaude, elle renvoie à la manière de chanter dans le sud, avec les chants de gospel (comme dans 6 Inch). La manière de chanter est plus ‘relâchée’, plus spontanée ; l’artiste chante, comme si elle parlait. Le son est plus calme, lent, même si les paroles sont plus fortes, rudes. On note donc des sons de type ‘country’, ‘reggae’.
L’usage des injures interpelle, car il peut laisser entendre que la manière de parler afro-américaine est injurieuse. Soit. L’artiste se sert de ce cliché pour initier un album qui est dédié à sa communauté, donc qui obéit à ses codes, notamment : la violence, le conflit interne et externe, les propos déplacés (injures), et même l’expansivité propre à cette communauté. L’expansivité de cet album, est comme une manière pour la femme noire de parler en public de ses déboires conjugaux, une pratique commune aux foyers noirs (attention cliché ?), et même des méthodes de confessions communes aux églises noires, évangéliques, pratiques d’expansivité dans laquelle excellent également les Noirs américains dans les talk-shows contemporains.
Le titre de l’album renvoie à une séquence du DVD où l’on voit la grand-mère de son mari Jay-Z (le rappeur) dire lors d’une cérémonie où elle est récompensée : « J’ai connu des hauts et des bas mais j’ai toujours trouvé la force en moi pour me secouer. On m’a donné des citrons, j’en ai fait de la citronnade.[2] »Ce message imagé que symbolise la limonade, renvoie à l’expression bien connue : ‘’Quand la vie te donne des citrons, fais-en de la limonade’’. En anglais cela donne : « When life gives you lemons, make lemonade’’.[3]Lemonade dans le contexte de cet album renvoie au pardon, qui naît de la vie conflictuelle avec son partenaire (les citrons). La femme dans l’album tire du bien, des leçons de ces situations et décide après une longue traversée du désert d’en faire de la citronnade (de pardonner, de continuer). Dans la chanson Sandcastles, celle-ci dit à son mari qui apparaît dans le clip : « I won ’t go » ; une fin parfaite, après le drame de la liaison.
L’album est également parlant au niveau des références propres à la communauté afro-américaine comme les termes ‘nigga’, dans Sorry. Des images relatifs à la Louisiane parsèment le clip ; ainsi que des références nettes (comme les mères des jeunes Trayvon Martin, Eric Garner et Michael Brown victimes des abus policiers). On voit aussi la référence au film Daughters of the Dust de Julie Dash, une afro-américaine. C’est donc une prise de parole assez subversive, qui tranche avec les autres albums de l’artiste. Il suit cependant (mais de manière plus osée), la trajectoire de l’artiste amorcée depuis I am… Sasha Fierce, où elle prend de plus en plus d’envergure pour devenir un peu plus personnel et engagée dans ses textes.
Le message ou la prise de parole est également adressée exclusivement aux femmes. Il s’agit ici de souder les femmes sur les thèmes qui les rassemblent. La femme-artiste parle aux autres femmes, les Noires. L’omniprésence des femmes noires dans l’album est un signe évident. Les hommes apparaissent uniquement pour servir de prétextes à la danse, ou à des situations de témoignage d’abus sociaux, ou même de repentance, comme le montre la présence de Jay-z sur Sandcastles et All Night. Les femmes sont les vraies détentrices du discours ; même les duos effectués avec Jack White, The Weekdn, James Blake et Kendrick Lamar, ne laissent pas apercevoir ceux-ci. Les femmes comme le mannequin souffrant de vitiligo Winnie Harlow, la jeune actrice Amandla Stenberg, Serena Williams et Zendaya apparaissent dans les clips, ou les images introductrices. Le clan féminin que forme Beyoncé est une armée féminine venue en ‘formation’ (rappel ici du titre qui clôt l’album ; et l’interpellation dans le titre; « Ok ladies, now let’s get in formation »).
Les textes de Warsan Shire la poétesse Britannico-Somalienne portent les images du clip, comme des introductions, ou entrées en matière[4]. Les textes poétiques donnent encore plus d’harmonie, et de tonalité lyrique à l’album. Cet emprunt, montre encore, s’il en est, l’incroyable capacité de Béyoncé à puiser dans l’art africain. Elle collabore avec la Nigériane Amaka Osakwe, styliste Nigériane ; Laolu Senbanjo, artiste Nigérian, pour des peintures corporelles. Les coiffures font également référence à la culture africaine, partant du cornwors, aux braids,[5]et aux cheveux frisés ou au turban ‘Badu’[6] ; ou encore une coiffure ‘à la Néfertiti’ inspirée des femmes Mangbetu du Congo. Il y a donc parfois plus qu’une réappropriation d’Américaine puisant dans des productions africaines, ceci peut, d’un regard africain ressembler à du pillage. Mais on se rappelle finalement que l’intention de l’artiste est justement de réaffirmer son identité noire ; et donc, prendre ce qui la relie à l’Afrique, et servira son discours ‘noir’.
On voit donc que l’album Lemonade est un tissu de messages subversifs, mais aussi de prises de paroles qui tendent à être politisées, sur des thèmes forts comme les crises conjugaux, les violences faites aux Noirs. L’album qui est un ‘album/film surprise’[7]qui regroupe comme le précédent des clips vidéo pour chaque chanson, est considéré comme un ‘plaidoyer pour l’égalité’[8]ou ‘politique’, une ode aux femmes noires.
Un article de Pénélope Zang Mba
[1] [2] Segment HBO, Redemption.[3] Lorenzo, Sandra, Montalivet, Hortense, Le Huffingtonpost.fr, « Vidéo. On a testé la recette de la citronnade de Beyoncé,présente dans son album ‘’Lemonade » »,mis en ligne le 26/04/2016, consulté le dimanche 17 mai 2016 à 16h03.[4] Dans le DVD ou documentaire HBO. Ce film serait dans la même veine que Life is but a Dream, réalisé plus tôt.(2013)[5] http://www.elle.com/beauty/hair/news/g28184/beyonce-lemonade-hair/, consulté le mercredi 18 mai 2016 à 12h21.[6] A la façon de la chanteuse Erykah Badu.[7] Lorenzo, Sandra, Montalivet, Hortense, Le Huffingtonpost.fr, « Vidéo. On a testé la recette de la citronnade de Beyoncé,présente dans son album ‘’Lemonade » »,mis en ligne le 26/04/2016, consulté le dimanche 17 mai 2016 à 16h03.[8] LeBail-Kremer, Aline, Lemonade : « le manifeste féministe et antiraciste de Beyoncé », dans La Règle Du Jeu, consultée le dimanche 17 mai 2016.