On n'aura pas échappé, tout récemment, à l'édition 2016 du très populaire – très populacier? – concours de l'Eurovision de la chanson.
D'ordinaire, la performance française se retrouve dans les bas-fonds du classement avec une telle constance qu'on aurait pu se demander, à la longue, s'il y avait encore quelque dignité à y participer... Cette année, coup de théâtre : les trémolos tricolores – on a déjà oublié le titre de la bluette et la tête de l'interprète – se sont retrouvés classés sixièmes sur quarante-trois participants au total. Autant dire un exploit !
Pour la petite histoire, et rien que pour faire une mauvaise manière de plus à ces salopards de Russes, c'est à l'Ukraine qu'on a accordé la première place cette année, avec un titre ciselé sur mesure : «1944» (pour les étourdis, se référer au premier manuel d'histoire qu'on trouvera : Crimée, URSS, déportation des Tatars, et tout le toutim). Si avec ça on n'est pas sur le point de signer tous les Tafta du monde atlantique, la main tenue par «Oma» Angela et ses caniches US-Friendly de l'Europe bruxelloise, c'est à désespérer de nos meilleurs maîtres en communication et autres subtils experts en lobbying !...
Puisqu'on parle lobby, impossible de ne pas se retourner sur ce concours de l'Eurovision d'il y a deux ans, où l'Autriche avait fait fort, non par le son mais par l'image, en se faisant représenter par un androgyne de foire. Quelques mois seulement après l'homérique happening du mariage homosexuel en France, on avait bien compris qu'il s'agissait d'abord et surtout d'acculturer à l'air du gay-power – en tout cas de tenter – le vieil Européen néandertalien.
D'où, dans son papier gras, le post auquel le présent blog aura échappé, le 11 ou le 12 mai 2014 :
Wurst, comme Saucisse
Comme vous avez bon goût, vous n'avez sans doute pas regardé le concours de l'Eurovision ce week-end. C'est dommage, vous aurez raté Conchita Wurst. Conchita Wurst ? Oui : «Wurst» — «saucisse» en allemand, c'est bien ça. Un surnom évidemment. Qui pourrait s'appeler «Saucisse», même en Allemagne ? À Frankfurt comme ailleurs. En Autriche, à la rigueur ?...
«Conchita» de toute façon n'est pas son prénom. Roger non plus. Son prénom c'est Thomas, tout simplement. Un joli nom de garçon Thomas, on peut dire «Tom» pour faire court, à l'américaine. D'ailleurs quand Conchita était petite on l'appelait Tom. Et si ! Dans son petit village d'Autriche — trralala-itouuu ! — on s'obstinait à l'appeler Tom. Pas parce qu'on voulait faire américain, simplement pour faire gentillet, comme tous les papas-mamans-copains-copines du monde — qu'est-ce que vous auriez fait d'autre ?
Bon à l'époque déjà, Tom ou pas, le petit garçon préférait s'habiller en petite fille. Ça lui a rapidement posé problème, vous vous en doutez. Entre eux les ados ne sont pas tendres. Bref on l'aura compris, Tom est devenu Conchita à l'âge adulte. Il s'est fait travesti comme on dit. Mieux que ça : « drag queen ». Le travesti n'est souvent qu'un transformiste du soir, pour épater la galerie, faire l'artiste, ou se distraire de sa vie, le temps d'une parenthèse. Le «drag queen», lui, est d'une autre trempe, c'est un provocateur assumé, un briseur de codes, un profanateur autant que possible. Son exubérance est militante, son maquillage outrancier une panoplie de combat... Sous ses allures de grande folle c'est un soldat des homosexualités conquérantes.
Notre petit Tom, donc, est devenu la grande et belle Conchita... Et comme sa robe moulante n'aurait pas suffi à fracasser, à elle seule, les codes du vieux monde — il en a vu d'autres, le vieux monde —, la belle ne sort plus sans exhiber... une superbe barbe noir de jais ! A complexer bien des brutes hétéro... Tel était l'objectif, finalement : mêler les signes antagonistes, casser les sens... Jusqu'à la monstruosité. Prendre les vieilles mœurs à rebrousse-poil, faire douter de tout. En pastichant l'antique phénomène de foire — la femme à barbe offerte aux voyeurs goguenards —, il s'agissait de nous faire glisser dans la perplexité la plus intime, le temps que notre regard, glissant lui-même le long de ce corps truqué de femme désirable, s'en vienne se troubler, se disloquer en vagues d'écume, sur ce poil paradoxal et transgressif. Jusqu'à ce que l'assemblage de ces séductions contrariées finisse de donner le tournis à la brute hétéro, tout à la fois honteuse, écœurée, ou paniquée par le conflit de ses propres émotions...
Il faut remercier les organisateurs de ce spectacle de l'Eurovision 2014, traditionnellement si populaire. Leur audience est telle en Europe, et ils le savent, qu'ils se seront faits ainsi les plus originaux lobbyistes de la «cause» homosexuelle. Car Conchita, qui concourrait pour l'Autriche, a remporté le grand prix... Au moment où, en France particulièrement, il s'agit de néandertaliser les derniers homophobes réfractaires à l'avancée de civilisation que fut l'institution du «mariage pour tous» — et surtout emporter la conversion des prudents et des moutonniers —, voilà ce qui s'appelle un drôle d'opportunisme. Drôle à pouffer de rire.
Ein Wurst bitte ! Guten Appetit meine Freunde !
(Photo : Conchita Wurst, © ORF / Milenko Badzic.)