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Max Lobé : Confidences

Par Gangoueus @lareus

Je ne sais pas pourquoi cette lecture a été longue. L’hypothèse majeure est que je fais beaucoup de choses à la fois ces derniers temps. Pourtant, chaque fois que j'ai eu à reprendre Confidences ce nouveau roman du jeune auteur camerounais Max Lobé, force est de constater que j’ai été pris par les confidences de Mâ Maliga, une survivante des années troubles que le pays bassa a connues lors du maquis d’Um Nyobé et de ses partisans de l’UPC. Un témoignage à la fois truculent dans sa forme et douloureux sur le fond recueilli par le personnage narrateur qui est un jeune camerounais qui entreprend un retour aux sources.
Carnet d’un retour au pays bassa

Max Lobé : Confidences
Ayant assisté en Suisse à des conférences sur Um Nyobé, héros emblématique de la lutte anticoloniale au Cameroun, le personnage narrateur de ce roman inscrit dans son séjour au bled une quête sur la figure et l'épopée d’Um Nyobé. Makon, un chauffeur de la région va le mettre en relation sa mère Ngo Maligâ dite Marie-Thérèse qui accepte de répondre aux questions de ce jeune homme venu d’ailleurs, de Mbeng.
Mieux, à coups de rasade de matongo (vin de palme), elle propose une visite topographique de la région de Song Mpeck où le mouvement indépendantiste de l'UPC fut traqué, écrasé par les troupes coloniales. Briser l’omerta sur un sujet aussi tabou n’est pas simple. Mâ Maliga est la bonne opportunité. D’ailleurs, le narrateur tente de reproduire la même expérience à Bafoussam avec une dame ayant le même profil que Ma Mâliga. Il s’heurte à un mur de silence impénétrable.
« Laisse-moi donc pleurer un peu. Je dis de me laisser pleurer un peu. N’est-ce pas que ça lave les yeux ? J’entends souvent les gens dire que nous qui avons vécu ces choses-là, nous n’en parlons jamais – est-ce que tu comprends pourquoi nous préférons ne plus en parler ? Ca fait trop mal. » Page 266, Editions Zoe

Confidences à coups de matongoCes mots de Mâ Maliga sonnent comme une évidence au moment où ils sont exprimés, c'est-à-dire à la fin des confidences de cette dame courageuse. Elle a pris le temps de raconter toute une époque sombre au jeune mbenguiste*. L’émergence du mouvement révolutionnaire. Elle fut témoin de la répression policière d'une manifestation syndicale dans la ville de Douala en 1955, par un terrible concours de circonstances qui voulu qu’avec une de ses tantes, elle ait fait le déplacement pour cette ville. La première phase consiste avant tout en la description de plusieurs portraits en pays bassa, depuis le village de Song Mpeck.Croquis de figures familiales, de prises de positions fortes comme celle de son père, cadre subordonné aux lignes directrices du pouvoir colonial, hostile aux indépendantistes celui de sa mère, épouse docile sur la place publique, femme potomitan, impératrice de sa demeure. En décrivant une période circonscrite entre 1955 et 1958, Mâ Maliga conte toute une communauté bassa, des figures travaillées, engageantes décrites avec humour, force et tendre. Elle parle aussi de l’impact féroce et indirect de la présence française. Comme la folie douce de Malep Ma Ndap, oncle paternel de la narratrice, revenu complètement ébranlé de la guerre d’Indochine. Ebranlé, je veux dire fou. Il y a également la figure omniprésente du Mpodol, même s’il ne prend jamais la parole dans ce roman.
La qualité de la narration de Max Lobé s’exprime avant tout par le tempo, par la langue joviale, au plus près du parler camerounais. On imagine que cette femme raconte l’histoire en français à ce jeune homme venu d’ailleurs. La nomination des personnages est à la fois drôle et extrêmement significative : Tonye Gwet Makon dite Marie-Antoinette, Ngo Bissaï dite Anne-Marie, etc. L’auteur a la capacité de désamorcer la violence des situations, même si, au fil des pages, le lecteur mesure l’ampleur du système répressif qui se met en place, la barbarie sans nom qu’a dû subir ses populations. L’équilibre du roman est dans le refus d’un manichéisme simpliste. Mais, on saisit parfaitement pourquoi, 50 ans après, le silence est toujours de mise. Songe-t-on qu’un peu plus de douze ans après la fin de la seconde guerre mondiale, des camps de concentration ont été mis en place en pays bassa pour neutraliser et traumatiser les populations locales ?
Max, Hemley…Assurément le maquis, dont on a une nouvelle illustration après le roman d’Hemley Boum, n’a rien à voir le Viêt-Nam, tant la disproportion des forces est grande et les approches des dirigeants de l’UPC diffèrent. Une récurrence est formulée dans la place des femmes dans cette quête le Kundè (la liberté). Si les voix féminines étaient déjà très présentes dans le roman d’Hemley Boum, elles sont encore plus fortes dans le roman de Max Lobé.
Il y a deux rythmes d’écriture dans ce roman. Les confidences de Mâ Maliga à Song Mpeck qui rendent compte de l’histoire de son grand frère Um Nyobè dit Ruben. Les observations générales du narrateur sur son pays, sur ce que celui-ci est devenu.
Les notes sur le retour aux sources de Max Lobé ne s’emploient pas à constater le quotidien, la misère, la corruption et autres fléaux qui s’abattent dans les grands centres urbains africains. D’ailleurs, il ne comprend pas lui-même l’essence de sa démarche qui pourtant le pousse à explorer la genèse du mal en repartant au cœur de la forêt bassa ou du côté de Bafoussam. Cette quête ne peut se faire sans la transmission des anciens, sans une parole qui leur est respectueusement accordée pour tracer et comprendre ce qu’il s’est réellement passé. De ce point de vue, Max Lobé produit tant dans le fond que sur la forme un roman remarquable qui je l’espère rencontrera les camerounais et les « poulassi »* et par delà un public large. Très bonne lecture. 
Max Lobe, ConfidencesPremière édition 2015, Editions Zoé  
Ce livre a été finaliste du Prix du roman engagé 2016 de la CENE littéraire
Max Lobé : Confidences
* poulassi -> désignation des français par la population bassa
* mbenguiste -> camerounais résidant en Europe 

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