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Il y a quelques jours déjà, René Depestre a reçu le Grand Prix de la Société des Gens de Lettres (SGDL) pour l'ensemble de son oeuvre. Il ne s'agit pas là d'une récompense très médiatisée, et j'y reviens donc un peu tard - mais j'y reviens malgré tout, parce les livres de cet écrivain haïtien dont la plus grande partie de la vie s'est passée en exil méritent d'être regardés de près. En 1989, je l'avais rencontré après le Prix Renaudot qu'il avait obtenu pour Hadriana dans tous mes rêves. Sa production littéraire ne s'est bien sûr pas arrêtée là, sa biographie non plus, mais je parierais volontiers qu'il pense toujours la même chose sur la question du choix de la langue d'écriture: français ou créole...
Ecrire en créole ou en
français, c’est un faux problème. On peut écrire en français sans perdre le
créole. En tout cas, c’est ma solution.
Mais votre français
mâtiné de créole vous impose un glossaire à la fin du roman…
Oui, parce que le
créole est une langue extrêmement imagée, qui permet de dire des choses qu’on
ne peut pas dire en français, ou de dire d’autres choses avec plus de force. Il
se constitue un va-et-vient entre les deux langues… Le créole me sert de vivier,
dans lequel je puise pour compléter. Il y a des Haïtiens qui posent le problème
de l’écriture en français ou en créole. Un poète haïtien a même écrit : « cette
souffrance à nulle autre pareille d’exprimer avec des mots de France ce cœur
qui m’est venu du Sénégal… » Personnellement, je trouve que le créole est
un apport de globules rouges pour le français.
Au-delà de la langue,
votre source d’inspiration est-elle toujours haïtienne ?
Pas forcément. Il y a
des saisons dans une vie. Et je suis dans ma saison haïtienne. Après, j’ai vécu
longtemps à Cuba, et j’en parlerai aussi. Puis au Brésil, en France, en Italie…
Depuis combien de
temps n’êtes-vous pas rentré en Haïti ?
Ça fait près de trente
ans. Et j’avais déjà subi auparavant un exil de onze ans. En quarante et un ans,
j’ai vécu moins d’un an en Haïti.
Vous le regrettez ?
J’ai fait une
expérience douloureuse au départ, en Haïti même, quand j’ai pensé, en 1946-47, que
j’allais occuper un rôle actif à la fois comme homme de lettres et comme homme
politique. C’était une erreur de croire qu’on pouvait être à la fois un homme d’action
et un homme de création. Alors je me suis rendu compte, au moment de partir, qu’il
serait difficile de revenir. Et, quand j’étais dans les autres pays, je me suis
senti appartenir à ces pays-là aussi. Je me suis dit : j’ai mon territoire
d’exilé dans tous les pays. Je suis un Haïtien de France, le plus Français des
Haïtiens. Et je me suis constitué un réseau de racines. Je me sens brésilien, français,
cubain, tchèque, la notion de citoyen du monde n’est pas abstraite pour moi. A
l’Unesco, je me suis senti comme un poisson dans l’eau…
Dans le contexte de
la culture internationale, la culture de votre pays et le surréalisme avaient
déjà noué quelques liens…
Je suis un surréaliste
de naissance, si je puis dire. Le vaudou est une religion surréaliste. Les
dieux vaudous sont des êtres extrêmement surréalistes par leur conduite. Un
homme possédé, une femme possédée qui parle, c’est d’une beauté surréaliste. Et
cela m’a protégé même dans les moments les plus délirants de la bureaucratie
communiste, à Prague. Ou le 1er mai 1952, quand j’étais dans la
tribune sur la place Rouge à Moscou, le dernier 1er mai de
Staline, c’était pour moi bien plus qu’un défilé. Je voyais d’autres choses. Ce
qui m’a protégé aussi, ce sont les femmes. Même en étant un militant discipliné,
je baisais les camarades à Moscou, à Pékin ou à Prague. Il y avait toujours au
feu une histoire d’amour. Et ça m’empêchait d’étouffer !
Quand vous êtes
revenu en Haïti, après tout cela, comment est-ce que ça s’est passé ?
Je connaissais
Duvalier quand j’étais jeune. Dans le quartier, je jouais aux cartes avec lui. C’était
même comique, parce qu’il perdait souvent et que le gagnant avait le droit de
mettre des pinces à linge au perdant, accrochées au nez, à la bouche, aux
cheveux… Le dimanche après-midi, en 1943, on pouvait voir Duvalier assis en
face de moi, avec ses pinces à linge. Donc je retrouve mon homme épinglé, président
de la République, et il me reçoit à bras ouverts. Je venais de rompre avec le
parti communiste, mais cela ne voulait pas dire que je basculais avec armes et
bagages vers la droite ! Mes cheveux se sont dressés sur ma tête quand il
m’a exposé sa politique…
Pour revenir à votre
roman, Hadriana en est-il le véritable point de départ ?
C’est Hadriana. C’est
la maison où elle a habité, parce que j’ai connu cette maison superbe, qui
existe encore et qui est devenue un hôtel. Et j’ai rêvé, j’ai fantasmé depuis l’enfance
qu’il y avait une fille dans cette maison. C’est une histoire d’amour que j’ai imaginée
à partir de la maison.
Et Hadriana devient
un zombie. Est-ce un thème toujours très présent en Haïti ?
Oui, mais pas dans la
littérature. Dans la vie. Il y a des pays où la réalité est étouffante, des
pays totalitaires où il n’y a pas d’imaginaire, de fantaisie. Et en Haïti c’est
le contraire. J’en déduis qu’il faut un équilibre entre le réel et le
merveilleux.