Le résultat de l'Eurovision crée presque toujours la polémique. Samedi soir, la gagnante mais aussi le nouveau système d'annonce des résultats ont déchaîné les passions. La séparation des votes du public et du jury a ses avantages, même si Twitter l'aura plutôt désapprouvé. Retour sur une fin de soirée mouvementée.
C'est le plus grand changement dans l'histoire des votes de l'Eurovision depuis 1975 et l'instauration du fameux 12 points. Cette année, l'annonce des résultats s'est déroulée en deux phases. La première phase a vu les porte-paroles des pays participants dévoiler les points de leur jury national (composé de 5 professionnels de la musique) et annoncer uniquement la note maximale qu'ils attribuaient, le célèbre 12 points. Après le passage des 42 porte-paroles, nous avions donc le vainqueur du vote des jurys. Samedi soir, c'est l'Australie qui a largement été plébiscitée par les professionnels recevant 320 points, soit une centaine de plus que le deuxième, l'Ukraine. La France complétait le podium. Notre Laura Tesoro obtenait une excellente 6e place (avec 12 points de l'Australie et de l'Irlande) alors que le russe, pourtant grandissime favori, n'arrivait qu'à la 5e place.
Le vote du public bouleverse le résultatAlors que beaucoup pensaient la messe déjà dite et la victoire acquise pour Dami Im, la candidate australienne, la deuxième phase a finalement complètement bouleversé le classement. Les télévotes de tous les participants ont été additionnés et annoncés par les présentateurs de la soirée, Petra Mede et Mans Zelmerlow. Ils ont d'abord énuméré les points reçus par les pays classés de la 26e à la 11e place. Et là, déjà les premières désillusions, la Belgique termine seulement à la 16e place du vote du public (avec cependant 12 points de l'Australie, décidément fan de " What's the pressure ", et des Pays-Bas). Additionné au vote du jury, notre pays se classera quand même à une bonne 10e place, le deuxième top 10 belge en deux ans.
Dans un suspense haletant, les présentateurs ont ensuite annoncé les dernières places... Neuvième, la France chute à la 6e place, cependant le meilleur résultat de nos voisins depuis 2002. Autre surprise, la 3e place de la Pologne qui avait pourtant terminé dernière du vote du jury.
La procédure tourna finalement au psychodrame. Ne restait plus que la Russie et l'Ukraine, deux pays dont les relations n'ont jamais été aussi tendues. Les points attribués par les téléspectateurs européens allaient-ils suffire pour dépasser l'Australie, qui culminait à 511 points? Affirmatif pour l'Ukraine qui termine deuxième du public et obtient 534 points au total. Le russe, malgré sa première place attribué par le télévote, ne finit qu'à la troisième place, pénalisé par son résultat décevant chez les jurys.
Les russes, furieux du résultat, les téléspectateurs complètement perdusAu-delà de la symbolique forte de la victoire ukrainienne au détriment du grand voisin, la délégation russe est surtout furax du traitement accordé par les jurys à leur candidat. Il estime que ceux-ci ont volontairement cassé Serguey Lazarev, grand favori des pronostiqueurs, et l'ont privé de la victoire. D'autres ont été surpris par la 3e place polonaise et y voient le vote massif de la diaspora polonaise qui aurait ainsi permis la remontée spectaculaire de Michal Szpak dont la chanson " Color of your life " n'avait pas du tout séduit les jurys. Enfin, nombreux sont les téléspectateurs qui se sont plaints du nouveau système d'annonce des résultats, trop compliqués et trop longs, comme en témoigne de nombreux messages postés sur twitter.
Et pourtant, il est indispensable de nuancer les polémiques nées ce samedi soir. Certes, il n'est pas étonnant que le candidat russe l'ait emporté auprès du public. Son show était millimétré et très spectaculaire. Par contre, les jurys ont dû moins apprécier cette débauche de moyens et estimer que l'interprétation ou le style de la chanson ne méritait pas autant d'enthousiasme. A l'inverse, en 2015, le jury avait plébiscité Mans Zelmerlow mais classé moins bien le groupe italien Il Divo qui était arrivé premier du télévote. Ce sont les aléas du système du 50-50. Ce même principe qui permet d'atténuer l'influence sur le résultat final de certains votes politiques ou des diasporas... Comme celui de la communauté polonaise par exemple. Même si là encore, il faut nuancer. Il est peut-être surprenant de voir la Belgique attribuer ses 12 points à Michal Szpak. Mais quand on observe plus précisément les résultats, il s'avère que ce candidat a convaincu partout en Europe, même dans des pays moins peuplés par une communauté polonaise. Peut-être les téléspectateurs ont-ils tout simplement apprécié " Color of your life "...
Enfin, on peut en effet reprocher au nouveau système d'avoir été compliqué et trop mal expliqué. Mais ce bouleversement a permis un suspense incroyable et une plus grande transparence, forcément propice aux critiques. Nul doute que désormais habitués, les téléspectateurs l'apprécieront lors des prochaines éditions. Fini en effet le temps où le gagnant était connu plusieurs minutes avant la fin des votes. Désormais, le suspense sera systématiquement complet jusqu'au bout.
L'Eurovision, trop politique?Avec ses 200 millions de téléspectateurs, l'Eurovision est une tribune incroyable. Pourtant, l'UER essaie scrupuleusement d'éviter toute allusion à la politique. En conférence de presse, par exemple, il est souvent demandé aux journalistes de se limiter aux questions d'ordre artistique. L'année passée, un système 'anti-huées' avait été mise en place pour que les réactions négatives de la salle vis-à-vis de la Russie ne soient pas entendues à l'écran. Ce système a finalement été abandonné cette année (et n'aurait d'ailleurs pas servi à grand chose vu que le candidat russe était très apprécié des fans européens). Un règlement plus strict a également été mis en place pour éviter les drapeaux polémiques. L'Arménie en fera sans doute les frais, Iveta, leur candidate, a brandi, dans la green, room, le drapeau du Haut-Karabagh, région sujette à un conflit entre son pays et l'Azerbaïdjan. L'UER a déjà prévenu que cela ne resterait pas sans sanction. J'ai moi-même assisté à l'intervention du service de sécurité privant des fans espagnols du drapeau basque qu'ils agitaient... Ambiance...
Malgré tous ces efforts, la géopolitique aura toujours une certaine influence sur le concours. Mais les efforts de ces dernières années ont permis de l'atténuer. Les observateurs doivent surtout se contenter d'insister sur l'aspect musical et festif du concours. Cette année, le hasard a malheureusement fait que l'Ukraine et la Russie s'opposent dans un duel intense. Ce n'est pas dû à de la politique mais surtout à l'excellence de leurs chansons respectives. Nul doute que l'UER devra encore une fois redoubler d'efforts pour que l'édition 2017 se déroule dans l'apaisement...