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Virage à 180 degrés à la tête de la capitale du Royaume-Uni. Après 8 années d'un un maire ultralibéral, issu de la haute bourgeoisie britannique et pro-Brexit en la personne de Boris Johnson, les Londoniens ont choisi Sadiq Khan comme premier édile, un travailliste issu d'une famille pakistanaise modeste et pro-européen.
Seul point commun, et pas des moindres entre les deux: une immense habileté politique et une confiance en eux qui tourne parfois à l'arrogance.
Sur de lui, Sadiq Khan l'a toujours été, un trait qu'il tire notamment de sa pratique de la boxe - un trait de caractère qui l'oppose là aussi à son prédécesseur - depuis son enfance. "Il ne perd jamais" dit ainsi un de ses conseillers. Et c'est vrai que jusqu'à maintenant, celui qui devient le premier maire musulman d'une capitale occidentale, peut se gargariser d'un quasi sans faute. Élu à 35 ans député de la circonscription de Tooting, un quartier de Londres où il a toujours vécu, il est nommé dès 2008 ministres chargé des Communautés puis un an plus tard ministre des Transports.
En 2010, il conserve son siège de député malgré la victoire nationale du camp conservateur et soutient Ed Miliband qui sera élu à la tête du Parti travailliste. Rebelote en 2015 où il fait gagner à son parti 7 sièges aux législatives - le meilleur score depuis 2005 - et remporte de manière écrasante la primaire travailliste à la mairie de Londres face à la blairiste Tessa Jowell. Sur de ses talents politiques, il avait d'ailleurs confié aux journalistes après cette intronisation "Je n'ai jamais pensé que la course serait serrée".
Il faut dire que Sadiq Khan a su parfaitement jouer de son parcours de réussite en mettant notamment en avant certains détails de sa biographie, comme le fait qu'il soit fils de chauffeur de bus ou qu'il soit un pratiquant musulman. D'abord avocat des droits de l'Homme avant de se lancer en politique, le nouveau maire travailliste a su transformer le conte de fées de sa propre ascension sociale comme étendard de son programme pour la capitale britannique.
Jouant du métier de son père - décédé depuis - il s'affiche sur des dépliants devant le fameux "double-decker" londonien (bus à deux étages) que son paternel a conduit pendant des années pour faire passer le message qu'il s'y connaît en matière de transports, d'autant qu'il fut ministre en la matière dans le gouvernement de Gordon Brown. Il a ainsi promis de geler pendant quatre ans le prix des transports publics - le plus élevé d'Europe - dont il attribue l'envolée des coûts à la gestion de Boris Johnson.
Autre carte de son parcours qu'il a su parfaitement mettre en avant: Sadiq Khan est un "garçon élevé en HLM". Un atout car cela lui permet de se présenter en parfait connaisseur de ce qui est devenue la principale obsession des Londoniens, à savoir la folie des prix de l'immobilier. Dénonçant le fait qu'il soit désormais impossible d'habiter la capitale sauf à "y consacrer la moitié de ses revenus", il veut "donner la priorité aux Londoniens pour l'accès aux nouveaux logements et baser le loyer des logements sociaux sur les revenus moyens".
En parfait connaisseur du cosmopolitisme londonien, Sadiq Khan a su utilisé ses origines pakistanaises - bien qu'il soit né à Londres - pour vanter, un peu à l'image du "rêve américain", l'idée d'un Londres où tout est possible et dans laquelle "quelles que soient tes origines, si tu travailles dur, tu trouveras une main pour t'aider et tu pourras tout réussir". Les insultes racistes dont il fut parfois victimes quand il était enfant ont elles aussi été mises au service de son storytelling pour que ressortent son énergie et sa détermination à réussir, des qualités dont il entend faire profiter les Londoniens.
Enfin, c'est surtout autour de sa foi musulmane qu'a tourné une bonne partie de sa campagne, mais aussi celle de ses adversaires. Expliquant être le mieux placé pour combattre l’extrémisme islamique et appelant ses coreligionnaires à le dénoncer, il a aussi critiqué la politique multiculturaliste actuelle qui se fait d'après lui aux dépens du "vivre-ensemble" et qui a permis à "l’extrémisme de progresser librement".
Ayant enfin trouvé un angle d'attaque pour le faire vaciller, les journaux et politiques conservateurs ont au contraire dénoncé sa proximité avec certains radicaux islamistes, à l'image de la publication de photos où il figure en compagnie d'un imam radical de son quartier. Le Sunday Times avait aussi révélé qu'il s'était rendu à quatre réunions du groupe Stop Political Terror, un groupe soutenu par l'idéologue d'Al-Qaida décédé en 2011, Anwar Al-Awlaki.
Son adversaire conservateur, Zac Goldsmith, est même allé jusqu'à l'associer aux attentats terroristes de 2005 en le comparant aux "dégoutants personnages". Apparemment, les réponses de Sadiq Khan, selon lequel "on ne sait pas toujours qui va parler après vous dans un meeting" et qu'en tant qu'avocat des droits de l'Homme, il fallait parfois défendre des gens peu recommandables, auront convaincu les Londoniens.
En définitive, et toutes proportions gardées, on peut voir en Sadiq Khan une version londonienne de Barack Obama. Si leurs parcours n'ont rien à voir (Obama n'étant ni musulman, ni d'origines modestes), les deux ont su faire de leur différence un argument électoral et ont été capables de transformer leur parcours en allégorie de leur programme.
Désormais titulaire du mandat individuel le plus vaste d'Europe avec un budget de 20 milliards d'euros et une responsabilité en termes de logement, d'aménagement du territoire et des transports, Sadiq Khan risque de faire l'objet d'une grande attention des médias internationaux soucieux de voir ce que va faire cet "Obama londonien". Et même s'il assure le contraire, peut être compte-t-il utiliser le tremplin londonien pour devenir dans un futur plus ou moins proche Premier ministre britannique. Cela lui ferait un autre point commun avec Boris Johnson dont l'ambition de remplacer David Cameron est un secret de Polichinelle.