Je l’avais commandé.
Il m’est parvenu, je l’ai lu, il m’a plu.
Lui, c’est le dernier livre d’Edmée De Xhavée, « Villa Philadelphie ». Il s’agit d’un récit où tout se dédouble, mais où le semblable est finalement différent. C’est l’histoire de deux sœurs qui se marient et à qui leurs parents ont acheté deux maisons jumelles, afin que même adultes elles ne soient pas séparées. Le jardin et la véranda sont même communs, ce qui facilite les échanges. Dans ce jardin, se dresse une nymphe de pierre toute moussue, statue unique qui symbolise le destin de la femme (amour et désir). Et en effet, chacune des sœurs, sortant de l’adolescence, va devoir choisir son destin de femme. Le lecteur va vite se rendre compte que leurs chemins vont être très différents. Le désir des leurs parents de les réunir sous un même toit est donc une illusion. Ce sont eux qui se sont imaginé qu’elles étaient semblables, mais il n’en était rien. Rosalie est énergique, pleine de vie et a épousé un homme qui l’adore. Eveline est plus effacée, plus terne, et on la remarque moins. Il faut dire que depuis sa petite enfance, elle est dominée par son aînée car celle-ci a besoin d’attirer l’attention sur elle. Aimée, la mère, rentrera dans son jeu sans même le remarquer et complimentera toujours son aînée au détriment de la cadette. Rien d’étonnant que celle-ci devienne plus effacée et épouse un homme sans relief qui ne se marie que par convention et non par amour.
La dualité, cependant, continue en apparence. Mariages, fausses couches, premières naissances, les deux sœurs semblent connaître la même vie. Sauf que la première resplendit et que l’autre est terne, sauf que l’une est aimée et que l’autre n’est même pas désirée. Et c’est là que tout bascule. Se rendant compte de l’échec de son mariage, Eveline cherchera en elle-même le sens de son existence. Elle puisera sa force dans son amour de mère et dans sa richesse intérieure. Du coup, petit à petit elle va se transformer jusqu’à finir par rayonner. Les étranges broderies qu’elle réalisait adolescente, ternes d’un côté et exubérantes de couleurs de l’autre (toujours ce thème de la dualité, donc) préfiguraient déjà cette évolution.
Mais tandis qu’Eveline tire son bonheur d’elle-même, sa sœur Rosalie continue à avoir besoin du regard des autres (celui de son mari, mais surtout celui de sa mère) pour exister. Elle brille, certes, mais à travers leurs yeux.
La vie avance et Edmée De Xhavée fait défiler les années devant nos yeux. Le roman commence en 1920 et se termine au début des années soixante. Par petites touches, l’auteur nous fait découvrir la vie aisée de la bourgeoisie de Verviers, enrichie par le commerce de la laine, puis c’est la guerre, qui emportera le mari de Rosalie, et enfin le lent déclin de la cité lainière. Derrière le destin des héros, on peut donc lire en filigrane celui de toute une région.
L’écart entre les deux sœurs s’est maintenant creusé à un point tel qu’elles sont devenues bien différentes. Alors qu’Eveline a toujours son mari, son fils Paul et une fille qui est née sur le tard, Roseline est veuve et vit seule avec son grand fils, qui tout doucement regarde ailleurs. N’ayant plus personne pour l’admirer et la mettre sans cesse en valeur (Aimée, la mère, vient de décéder) elle sombre tout doucement dans une sorte de folie, accusant même sa sœur cadette des pires crimes. Vieillissante, l’image que son miroir lui renvoie est désormais celle d’une femme décrépite et laide (toujours ce thème du double, où le même est finalement différent de ce que l’on croyait).
Les enfants se marient et quittent la maison. Eveline se rend compte qu’elle ne peut plus rester là, entre sa sœur en pleine décrépitude et qui ne lui adresse même plus la parole et son mari plus que terne et qui ne s’intéresse qu’à sa collection de papillons. Elle décide donc de prendre définitivement sa vie en main et de partir. La villa sera vendue et détruite. Seule subsistera la nymphe dans le jardin. Faite en pierre, elle était finalement la seule à devoir être immuable et éternelle.
C’est donc un beau roman qu’Edmée De Xhavée nous offre là. Comme d’autres l’ont déjà écrit ailleurs, on sent en elle une grande aisance à analyser l’âme féminine et le moindre regard ou la moindre parole de ses héroïnes est toujours finement décortiqué. Le lecteur découvre ainsi, par petites touches, leurs aspirations et leurs déceptions, leurs désirs et leurs regrets. J’ai particulièrement apprécié le lent continuum qui nous montre le cheminement de chacune des deux sœurs et qui fait que finalement la situation s’inverse. C’est Eveline la timide et l’effacée qui finira par rayonner et par prendre sa vie en main tandis que celle que l’on croyait brillante et qui n’était finalement que superficielle, sombrera perdue dans sa propre médiocrité.
Derrière tout cela, il y a l’amour. Certes Rosalie était aimée de son mari comme de sa mère (tandis qu’Eveline l’était beaucoup moins), mais en femme égoïste elle s’est nourrie de cet amour et n’a rien donné en retour. Une fois les êtres qui l’admiraient disparus, elle s’est retrouvée pour la première fois face à elle-même et ne l’a pas supporté. Eveline au contraire avait de l’amour en elle et même si elle en a moins reçu, elle a su se construire à partir de ses rêves et de ses aspirations. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’à la fin du roman elle quitte la villa Philadephie pour commencer une nouvelle vie pleine d’espoir à l’étranger.
En conclusion, je recommande vivement ce livre bien écrit, au style agréable, à tous ceux qui aiment l’analyse de l’âme humaine. J’ai pris un réel plaisir à le lire.