Hinkley Point : une grave erreur stratégique

Publié le 16 mai 2016 par Blanchemanche
#EPR #EDF
ALAIN GRANDJEAN13/05/2016

ALAIN GRANDJEAN Economiste
Le conseil d’administration d’EDF a accepté de reporter de plusieurs mois la décision de confirmer ou non le lancement du projet d’EPR britannique, qui met en danger l’entreprise et l’avenir énergétique de la France. Espérons que la sagesse l’emporte définitivement sur les affirmations péremptoires. On a malheureusement vu par le passé où pouvait nous mener une politique d’acharnement thérapeutique…
L’EPR dans sa version actuelle est un échec industriel. En construire deux au Royaume-Uni ne fera qu’enfoncer la filière. Qu’on en juge. Le chantier finlandais a pris au moins neuf ans de retard et le budget aura grosso modo triplé. Même dépassement de budget pour Flamanville et un retard d’au moins six ans. En Chine, celui de Taishan n’aura que trois ans de retard. Croire que celui de Hinkley Point sera livré à temps relève d’un optimisme d’autant plus irraisonné que le retour d’expérience complet n’est pas encore fait sur les deux EPR européens, toujours en cours de construction (annoncés pour être livrés en 2018, donc sans expérience d’exploitation) et que, bien sûr, des spécificités (liées à l’autorité de sûreté anglaise et au site lui-même) seront imposées à ce troisième réacteur, qui sera donc toujours une espèce de tête de série.
Effet ciseaux
La facture s’annonce donc douloureuse. Or, l’entreprise est déjà prise en tenaille entre un prix de vente sur le marché de gros du MWh électrique inférieur à 30 euros, une baisse de ses ventes au tarif réglementé et un programme d’investissements colossal (la reprise d’Areva, le « grand carénage » d’une partie du parc, le lancement désiré de nouveaux réacteurs, le déploiement des compteurs Linky…). Et son « free cash-flow » (la trésorerie dégagée après paiement des charges d’exploitation et des investissements nécessaires à l’exploitation) est déjà négatif depuis plusieurs années. Elle ne peut donc assurer le financement de ce programme sans augmenter son endettement lui-même déjà élevé. L’Etat a d’ailleurs reconnu l’ampleur du problème et accepté de procéder à une augmentation de capital et de renoncer à ses dividendes pendant deux ans.
In fine, ce sont donc les contribuables qui paieront l’addition, les petits actionnaires d’EDF ayant été préalablement rincés. On ne voit en effet pas comment un gouvernement quelconque pourrait accepter la faillite du gestionnaire d’un parc nucléaire, surtout quand il est plus que jamais nécessaire de renforcer la sécurité face au risque terroriste.
L’EPR n’est pas l’avenir du nucléaire

Il est acquis aujourd’hui que l’EPR, dont la version actuelle est bien trop complexe, ne trouve pas de débouché commercial – du fait notamment de ses deux contre-références – et n’est pas, en toute hypothèse, l’avenir du nucléaire et encore moins celui de la production d’électricité. Il est donc bien préférable d’investir sur des alternatives : une nouvelle génération de réacteurs au design maîtrisé, les énergies renouvelables, dont EDF est un acteur majeur et, last but not least, les économies d’énergie, où EDF a aussi une carte majeure à jouer. C’est le moment de remettre à plat la stratégie de l’entreprise, d’adapter son programme d’investissement à ses capacités. Les organisations syndicales sont d’ailleurs demandeuses d’un vrai travail sur ce plan. Espérons que la crise majeure que traverse EDF soit l’aiguillon qui le remette sur de bons rails.


ALAIN GRANDJEAN

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