BADEN BADEN, Rachel Lang (2016)
Après deux courts-métrages et un documentaire, Rachel Lang signe avec Baden Baden son premier film et – à l’instar de Fejria Deliba et D’une pierre deux coups – frappe en plein cœur, offrant une réalisation gonflée de joie, d’humour et de questionnements existentiels, le tout porté à ébullition avec une juste dose de drame et de spleen. Une œuvre tout en douceur et fantaisie « punk » qui fait la part belle à Claude Gensac, la pétulante « Biche » de notre enfance que la jeune génération se fait visiblement une joie d’employer et qui excelle dans son rôle de grand-mère bouillonnante et bienveillante. Baden Baden c’est une caresse cinématographique à l’image de son générique de fin, – « Ya Nas », splendide morceau signé Bachar Mar-Khalifé – ensoleillée, mélancolique, aérienne, jubilatoire, libre et perchée sur les plus hauts sommets de la vie…
Ana, habillée comme un sac, les poils sous les bras, auréolée d’une « coupe de cheveux de merde » et d’un air toujours décalé et lunaire, est une jeune femme éminemment sympathique et attachante qui traverse le fleuve du destin de façon malhabile et titubante. Pas de travail, de joyeuses coucheries, obsédée par son ex, choyée par une grand-mère exceptionnellement drôle, Ana surnage et se complaît dans un quotidien à la fois accidenté et euphorisant. Baden Baden c’est un petit morceau de vie délicieux, délicat et délectable mettant en scène cette femme-enfant timide et gauche tout autant que solaire et amusante ; Ana ne sait jamais, Ana tâtonne, Ana grimace, Ana susurre et pleure telle une petite fille qui présenterait presque ses excuses pour le simple fait d’exister. Entre la Sophie (version adulte) de la Comtesse de Ségur, la Fifi Brindacier d’Astrid Lindgren et Punky Brewster, chez Ana tout est fatras, inconstance, tergiversation, le cheveu en bataille, l’œil espiègle et la fredaine toujours à portée de main. Ana, à l’image de son physique, est belle, désordonnée, sensible, elle erre et se débrouille comme elle peut pour s’y retrouver un tant soit peu dans son capharnaüm existentiel, s’apparentant à une brindille qui peine à devenir fleur, poétesse moderne foutraque, romantique et émotive qui s’égare dans une réalité bien trop alambiquée pour elle…
Salomé Richard (est ses faux airs de Cécile de France) se révèle éclatante dans ce rôle qui lui sied à merveille, flanquée de cette petite tête de souris fouineuse et légèrement pot de colle à qui l’on donnerait le bon dieu sans confession. L’on ne peut qu’aimer follement ce personnage et se réjouir face à une narration enjouée et acidulée qui brandit le portrait tendre et éclairé d’une post-ado perdue à la lisière de ses rêves et catapultée au croisement des résolutions. Rachel Lang signe une réalisation soignée où les plans fixes le disputent aux gros plans, et un scénario comme un immense sourire chagriné, joyeux clown triste qui nous amuse tout autant qu’il nous émeut. Les dialogues sont drôles et incisifs, les échanges entre comédien-ne-s irrésistibles et piquants. Tout ici se fait fin et disjoncté, subtil et anarchique, avec en prime le bonheur de retrouver la sublime Zabou Breitman en maman soucieuse ayant du mal à communiquer avec sa fille ainsi que Claude Gensac, éternelle et fabuleuse dans son rôle de grand-mère facétieuse et superbement attachante. Un film qui fait du bien à l’âme et active les zygomatiques, avec comme fil conducteur une salle de bain à refaire, comme l’ultime défi qui peut-être augurera un nouveau départ… Et lorsque l’on n’est pas bricoleuse et que de surcroît l’on s’appelle Ana, la tâche s’annonce d’ores et déjà bien fastidieuse !
Baden Baden s’érige en archétype de ces œuvres sans prétention et lumineuses qui ne s’égarent pas dans l’esbroufe, le sentiment déplacé ou le pathos incommodant mais traitent avec une authenticité touchante de l’heureux bordel existentiel en explorant les doutes et autres hésitations d’une jeune femme de vingt-six ans cherchant maladroitement son chemin. Un long-métrage comme un grand coup de fraîcheur, une montagne de tendresse, un océan d’humour qui place la Femme au cœur du tourment et au centre d’une liberté aussi chaotique que salvatrice…