Dans le cadre de notre dossier sur le festival Étonnants voyageurs, nous avons rencontré Emmanuelle Collas, fondatrice des éditions Galaade. Créée en 2005, la maison se veut comme la boîte à outils qui vous permettra de comprendre le monde. Entre le littéraire et le politique, entre le poétique et le politique, Emmanuelle Collas écarte les murs et passe les frontières entre les genres et les continents, à la recherche de toujours plus de matière à penser l’humanité.
D’où vient le nom Galaade ?
Je voulais avant tout un nom qui ne soit pas le mien et qui soit ancré dans un temps très long. Le nom de Galaad est attesté pour la première fois dans le Pentateuque. Il s’agit également du nom d’une montagne aux confins de la Terre promise mais c’est aussi celui d’un chevalier de la Table ronde ; pas forcément le plus malin, mais c’est le fils de Lancelot, le fils de l’adultère, et c’est lui qui trouve le Graal. J’ai simplement rajouté le e du féminin en français.
C’est un mot qui raconte des histoires et c’est exactement ce que je souhaitais. Aujourd’hui Galaade est un catalogue ouvert sur le monde.
Galaade est une maison indépendante créée en 2005. Comment est-elle née ?
Mon projet de base était de dire le politique par le littéraire. Je ne suis pas éditeur, c’est mon catalogue qui me rend éditeur. En effet, je viens d’ailleurs, je suis historienne de formation et cela joue un grand rôle dans ma philosophie. Avec Galaade, j’ai cherché à créer une sorte de boîte à outils éditoriale destinée à comprendre ce monde contemporain qui change à une vitesse incroyable. Je pense en effet que les seuls outils académiques ne permettent pas une analyse efficace des événements actuels sans un certain recul. La littérature et la poésie peuvent prendre le relais, c’est pourquoi j’ai commencé à publier des textes qui ouvrent les portes entre les langues et bousculent les frontières entre les cultures.
Prenons par exemple Encore d’Hakan Günday, un texte qui étudie la question des migrants. Cela faisait quelques années déjà que ce sujet m’intéressait. Cette notion de migrant est véritablement complexe, à n’en pas douter. Elle l’est tant, qu’elle a beau être au coeur des problématiques actuelles, personne ne sait qu’en faire. L’auteur, dans Encore, n’a pas cherché à dénoncer une politique particulière, il a choisi de directement s’attaquer au problème grâce à un texte très fort et surtout dénué de tout faux-semblant. Son texte est efficace à mes yeux car il y fait appel à l’âme humaine. Il cherche ainsi à nous faire comprendre la situation de ces personnes, comme vous et moi, qui du jour au lendemain se retrouvent à la rue, pour un voyage sans fin. Seule la littérature est capable de nous apporter ce type de regard : le livre nous permet d’en apprendre sur nous-mêmes, de nous ouvrir les yeux sur la réalité et laisser le lecteur libre d’en tirer les conclusions.Cette maison c’est vous qui l’avez lancée. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Étudiante, j’ai fait le cursus littéraire classique : hypokhâgne, khâgne et concours. J’ai ensuite suivi le chemin de l’université en histoire, spécialisée dans l’Antiquité, ce qui m’a conduit à devenir enseignante à l’Université de Haute-Alsace. Je n’avais absolument pas prévu ce parcours. Auparavant, j’avais exercé toutes sortes de métiers, du cinéma au théâtre en passant par la librairie. De par mon métier d’historienne, j’ai eu la chance de parcourir une bonne partie de l’Orient. Au cours de mes pérégrinations d’archéologue, j’ai également beaucoup voyagé en Turquie, dont j’ai appris la langue. Je me suis toujours sentie proche de cette culture. Avec les années, je me suis sentie enfermée dans un cadre académique qui ne correspondait plus à mes aspirations. C’est alors que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure Galaade.Vous êtes historienne de formation : pensez-vous que cela joue un rôle sur votre métier ?
Ma formation d’historienne marque jusqu’à la constitution de mon catalogue. Je travaille aujourd’hui avec des mots clés tels que identité, filiation, mémoire, crise, qui sont des concepts avec lesquels je travaillais déjà en tant qu’historienne de l’Antiquité. Je m’intéressais principalement à la période s’étendant du IIIe siècle avant notre ère, jusqu’au IIIe siècle de notre ère, et principalement sur la partie orientale de la Méditerranée. C’est une période qui a connu beaucoup de changements politique à l’époque ainsi qu’un fort changement des mentalités tout comme des institutions. Finalement, n’est-ce pas un peu ce qui se passe aujourd’hui ?
Votre catalogue laisse une large place à la littérature étrangère. Pourquoi ?
Avant tout, je tiens à préciser que je ne publie pas uniquement de la littérature étrangère ! On trouve des textes d’auteurs français ainsi que francophones dans mon catalogue, comme par exemple récemment Albena Dimitrova, un auteur originaire de Bulgarie et qui publie ses textes en français.Les textes que je lis et qui comprennent le mieux à mes yeux cet environnement en pleine transition qu’est notre monde actuel, sont souvent les textes étrangers, mais ce n’est pas systématique. La réflexion passe selon moi aussi par le dialogue entre les langues et les cultures et c’est ce que j’essaye de provoquer au sein de mon catalogue.
Deux livres de littérature étrangère sont à paraître chez Galaade : Palestine: Journaux d’occupation et Topaz. Pouvez-vous nous en parler ?
J’ai rencontré Raja Shehadeh lors d’un déplacement à Jérusalem et ai immédiatement eu envie de publier son texte Naguère en Palestine.Palestine est, comme son titre l’indique, un journal d’occupation quotidien. Sa réflexion est facilement applicable à d’autres pays puisque la question qu’il soulève est “comment vit-on sur une terre occupée depuis tant d’années ?” Aujourd’hui, il me semble que la question de la Palestine est reléguée tout au bout de la liste des problèmes politiques. J’ai publié il y a longtemps maintenant un ouvrage de Jean Daniel, le fondateur du Nouvel Observateur, qui écrivait sensiblement la même chose. Puisque rien n’a bougé depuis, j’ai décidé de remettre la question sur la table avec ce nouveau texte de Raja.
Pour ce qui est de Topaz, de Hakan Günday, il s’agit d’un livre très drôle qui raconte l’histoire d’une arnaque. Il s’agit de son seul texte qui s’attaque directement au tourisme de masse. Le récit correspond à deux heures de négociation : nous sommes chez le plus gros vendeur d’Antalya, Topaz, qui va tout faire pour faire acheter des bijoux à des touristes en visite groupée. Vrais métaux ou non, l’important pour lui est de vendre au maximum et tout est prévu pour arnaquer le touriste. Le tout est de choisir la bonne victime… C’est drôle, écrit dans une langue particulière faite pour entourlouper encore plus les clients, que j’ai trouvé particulièrement intéressante.Y a-t-il des langues que vous souhaiteriez ajouter à votre catalogue ?
Évidemment ! Je choisis les langues et les auteurs de mon catalogue en fonction de mes voyages et de mes rencontres. Galaade est le résultat d’une immense pérégrination, débutée il y a un peu plus de dix ans. Le hasard joue, même si je pense que ça n’en est jamais véritablement un ! Il y a en tout une quinzaine de langues au sein de mon catalogue et cela ne manquera pas d’augmenter dans les années à venir. De plus j’essaye au maximum de lire en langue originale. En résumé, l’entrée d’une langue au catalogue de Galaade dépend véritablement de mon investissement personnel. Je peux parfois me rendre sur place, aller à la rencontre avec des textes ou des auteurs dans leur milieu d’origine, ou bien d’autres fois je travaille directement avec des traducteurs lorsque je suis trop étrangère à la culture du pays. Mes choix éditoriaux sont presque des choix de vie.
Je peux par exemple vous raconter l’histoire de Samir Naqqash. Je connaissais cet écrivain bien avant la naissance de Galaade. Malheureusement, j’ai mis plusieurs années à trouver les ayant droits de son ouvrage Shlomo le Kurde. Je rêvais de publier ce magnifique roman écrit en arabe par un auteur juif de Bagdad et exilé en Israël. Lorsque j’ai finalement obtenu les droits, c’était la toute première fois que cet auteur était publié en Occident. Après sa publication chez Galaade, il a été vendu aux États-Unis. C’est là aussi mon travail : aller chercher ce genre de textes et leur faire passer les frontières afin de les faire résonner avec les autres cultures.Vous étiez au salon Livre Paris cette année et vous allez à Étonnants Voyageurs. Le salon constitue-t-il un élément indispensable dans votre démarche ?
Cela fait effectivement plusieurs années que nous allons au Salon du livre de Paris ainsi qu’à Étonnants Voyageurs. Nous déplacer sur des salons est véritablement important car nous y sommes visibles mais surtout car ce genre de manifestations nous permet de montrer le fonds de notre catalogue, ce que nous avons très rarement l’occasion de faire. Les salons permettent également de rencontrer des gens curieux, à tous les niveaux de la chaîne du livre, des lecteurs aux autres éditeurs présents. Je profite d’ailleurs souvent de ces occasions pour tester mes accroches sur mes livres à paraître.
Livre Paris, cette année, m’a en revanche beaucoup déçue, je l’ai senti comme un véritable non-lieu. Avec autant de visiteurs, il pourrait y naître de belles synergies mais j’ai eu le sentiment que les dialogues avaient été interrompus dans l’œuf. La bonne émulation, la confrontation, l’échange.
Du point de vue de notre démarche, Galaade a choisi de suivre ses auteurs où ils vont. Nous sommes donc souvent présents dans les festivals. Nous sommes présents à la Foire du Livre de Bruxelles, Livre Paris ainsi qu’Etonnants Voyageurs. Cette année nous sommes allés jusqu’à Montréal ainsi qu’au Printemps Balkanique en Normandie. Nous allons beaucoup à la rencontre des libraires et c’est fondamental pour un éditeur. Pour l’auteur comme pour l’éditeur, ce sont des moments très importants.