Remix en Caraïbe
Pour répondre à la thématique retenue par Tropiques Atrium Scène nationale pour le dernier trimestre de la saison 2015-2016, Classiques revisités, l’exposition Remix en Caraïbe se déploie dans la salle Arsenec
Les frontières entre appropriation, citation, remix, remake, reprise, parodie sont ténues et fluctuantes. Déclinaison de l’appropriation, le remix, entre respect et rupture, insuffle un nouveau départ à des œuvres pré-existantes en les re-contextualisant. Comment les plasticiens de la Caraïbe se sont- ils emparés de cette pratique combinatoire caractéristique de l’art contemporain? Quelles problématiques sont privilégiées par l’écart entre les œuvres citationnelles et les œuvres d’origine?
La pratique de la citation en peinture est ancienne et évolutive. Ainsi Olympia (1863) d’Edouard Manet revisité par Oneika Russell de la Jamaïque et Thierry Tian Sio Po de Guyane puise sa source dans la Venus endormie (1510) de Giorgione et la Venus d’Urbino (1538) du Titien. En effet, déjà, Edouard Manet, s’inspirait d’œuvres antérieures parmi les plus audacieuses mais pour mieux les transformer en révisant la perspective, le modelé, le contraste du clair – obscur et le sens, insufflant une connotation contemporaine aux thématiques classiques.
Thierry Tian So Po
L’image de l’occidental dans la peinture caribéenne n°2l’art
Oneika Russell
Olympia serie
Tout comme Picasso qui multipliait entre 1954 et 1955 les reprises des Femmes d’Alger (1834) d’Eugène Delacroix ou des Ménines ( 1656) de Diego Velasquez, tout comme Roy Lichtenstein qui réinterprétait à son tour Picasso, ces artistes de la Caraïbe actualisent les chefs- d’œuvre de l’histoire de l’art et les repeignent à leur manière. « Je ne crois pas que je fasse des parodies. Je crois que je réinterprète des œuvres antérieures dans mon propre style, comme Picasso quand il réinvente Velasquez, Delacroix ou Rembrandt » affirme Roy Lichtenstein.
Ces appropriations, hommage ou dérision, instaurent un dialogue entre artistes à travers les décennies voire les siècles tout en amenant l’artiste à méditer, s’interroger, sur sa propre pratique. Les remix de Ciro Art et Ruben Alpizar, correspondent à cette catégorie. C’est la peinture qui est le sujet de leurs tableaux. L’appropriation et le recyclage iconographique sont une constante de cette peinture érudite. Chez Ciro Art, c’est une mosaïque jubilatoire d’emprunts à la peinture comme à la sculpture des siècles antérieurs et d’éléments purement contemporains comme la BD, la publicité ou le polar, souvent à la limite du kitsch tandis que Ruben Alpizar conserve une facture classique que vient encore renforcer le choix des outils, crayon et aquarelle sur papier.
Avec Marcel Duchamp apparaît une connotation ludique et parodique de l’appropriation lorsqu’il inscrit L.H.O.O.Q . (1919) sous le portrait de Mona Lisa. On retrouve cette touche iconoclaste dans la série La Revancha d’Alpizar comme dans les contes numéoniriques de Jean- Baptiste Barret. Chez Barret, le sentiment d’étrangeté naît sans doute de la juxtaposition de paysages urbains d’aujourd’hui délaissés et désenchantés, le plus souvent nocturnes et de personnages empruntés à l’histoire de l’art, les citations allant de Raphael à Gauguin. Ces mondes contradictoires coexistent baignés d’un humour subtil. Jean – Baptiste Barret et Ruben Alpizar partagent cette ironie légère ainsi qu’un mode particulier du remix qui isole et prélève des silhouettes isolées plutôt que l’appropriation d’une œuvre entière.
CdN04-©JBBarret
Cependant les œuvres les plus nombreuses utilisent le Remix pour traiter de questions relatives aux trois problématiques identitaires : le genre, l’ethnie, l’orientation sexuelle. C’est un courant contemporain très en vogue particulièrement chez les plasticiens utilisant la photographie à partir des décennies soixante – dix et quatre – vingt.
Pour contester le manque de visibilité du noir dans l’histoire de l’art, Renée Cox et René Peña magnifient la beauté du corps noir dans des autoportraits fictionnels. René Peña incarne en effet tour à tour le Marat (1793) de Jacques Louis David ou le David (1430-1440) de Donatello tandis que Renée Cox se met en scène sous les traits de l’Olympia (1863) ou d’une femme nue du Déjeuner sur l’herbe (1862-1863) d’Edouard Manet ou de la Grande odalisque d’Ingres. Cette revendication prend aussi quelquefois une connotation politique, sociale et féministe chez Renée Cox dans des œuvres plus provocatrices, Yo Mama’s last super et Bullets at Green River inspirées de La Cène (1495-1496) de Léonard de Vinci ou de Saint- Sebastien ( 1480) de Mantegna.
René Peña
Samouraï
La présence minoritaire du noir dans l’histoire de l’art, sa position secondaire dans la société est soulignée et mise en cause par l’inversion de l’appartenance ethnique des protagonistes du tableau de Manet chez Thierry Tian Sio Po, par l’effacement progressif de la maîtresse blanche jusqu’à la fusion totale dans le décor chez Oneika Russell ou par la substitution de mannequins métis aux modèle européens chez Marvin Bartley.
En inversant l’appartenance ethnique de la servante et de la maîtresse, Thierry Tian Sio Po stigmatise avec ironie le peu de visibilité de l’art de la Caraïbe sur la scène internationale et se dresse contre les représentations raciales et sociales conventionnelles tout comme l’ont également proposé des artistes comme Larry Rivers dans I like Olympia with a black face (1970) ou Wenjue Zhang avec Self- portrait after Olympia (2013). Quant au japonais Yasumasa Morimura, il a interprété lui-même les deux personnages, Olympia et sa servante, dans Portrait Fugato (1988) doublant le questionnement ethnique d’une interrogation sur le genre et l’orientation sexuelle.
La relecture féministe et post coloniale d’Oneika Russell se veut plus radicale :
Le tableau de Manet, Olympia, a été le centre d’intérêt aux yeux des artistes qui se passionnaient pour l’histoire de l’art; ils l’ont ainsi retravaillé et exploité dans leur contexte personnel. Cela a permis des relectures féministes, post- coloniales et raciales. Je trouve cependant que la figure d’Olympia reste le point central d’intérêt des œuvres de ces artistes. Ils s’intéressent très peu à l’autre personnage, celui de la servante. J’ai voulu approfondir davantage ce personnage parce que je peux m’identifier à lui. Quelle était son histoire ? A l’époque j’utilisais un motif pour représenter certains modes convenus d’occidentalisation et de colonisation, c’est pour cela que j’ai décidé d’utiliser cette peinture pour en tirer un dessin et de placer ce motif en décor de façon à détourner la célèbre composition et l’intégrer à mon propre langage visuel.
Comme à ce moment-là je faisais des recherches sur le temps et l’animation, j’ai produit à partir de ce dessin initial une série d’impressions. Les seize épreuves obtenues ont ainsi fait partie d’une exposition de même qu’une animation montrant les dessins et les épreuves imprimées.
Dans ses reconstitutions photographiques de chefs- d’œuvres picturaux du passé, Rubens, Botticelli, Delacroix, Marvin Bartley remplace les protagonistes européens par des modèles antillais afin de critiquer l’eurocentrisme culturel dominant tout en abordant des problématiques contemporaines jamaïcaines : la foi religieuse, l’étroite relation entre une carnation plus ou moins claire et l’ascension sociale.
C’est la vision exotique et erronée de la femme de couleur que les peintres modernes, de Gauguin à Enrique Grau Araujo, affichent dans leurs peintures que remettent en cause les collages de Joiri Minaya.
Joiri Minaya
Postcard IV
Cdn15© JB Barret