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"C'est le problème de l'artiste avec sa création. Obscurs Frankensteins que nous sommes, attachés de façon névrotique à nos bulles, nos cases, nos créatures. Illégalement squattés par tout ce joyeux petit monde en cavale, échappé malgré nous de nos cerveaux malades, par une porte dérobée. Une porte entrouverte dans le mur de l'asile qui donnerait sur la cour du fond et, par-delà la palissade, sur le monderéel que je trouve parfois, moi, tellement peu crédible."
C'est bien la création, celle de Merlin Deschamps, scénariste et illustrateur de bande dessinée, qui est au coeur du nouveau roman de Marie-Sabine Roger, écrivain chère à notre blog.
Avec son épouse Prune, Merlin investit une accueillante maison de campagne - le rêve - respire avec bonheur l'impact que cette thébaïde aura sur son travail, son inspiration.
Las, le décès de Laurent, son meilleur ami et modèle incarné de Jim Oregon, héros de Wild Oregon, sa série à succès va non seulement priver le narrateur d'une source vivante d'inspiration mais l'obliger, le lier de deux dispositions testamentaires particulièrement contraignantes.....
" Je venais de perdre à la fois mon ami le plus proche, le principal héros de tout mon univers, et mon fan de toujours. Le deuil pèserait lourd. Et je ne l'acceptais pas."
Avec l'humour, la verve qui caractérise sa plume, la tendresse - pudique - qui anime son esprit , Marie-Sabine Roger offre une nouvelle fois au lecteur un havre de fantaisie bienfaisante.
Tout en sondant profondément le processus de l'imagination, de la relation d'un créateur avec ses protagonistes.
Ce n'est pas son moindre intérêt.
Une lecture que je vous recommande
Apolline Elter
Dans les prairies étoilées,Marie-Sabine Roger, roman, Ed. du Rouergue, mai 2016, 304 pp
Billet … étoilé
AE : votre roman, Marie-Sabine Roger, nous fait entrer, dans le processus imaginatif et technique du scénario de BD. On ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec vos propres constructions de romans, l’idée que vos protagonistes décident eux-mêmes des événements… Avez-vous déjà travaillé la bande dessinée ou êtes-vous tentée par cet art ?
Marie-Sabine Roger :
Non, je n’ai jamais travaillé en BD, mais je ne crois pas que ce soit si différent du travail d’un auteur de roman, si ce n’est qu’il y a une sorte d’implication « physique » en plus, puisque le geste vient appuyer le mot, ou qu’il s’y substitue.
Dans mon roman, Merlin est à la fois scénariste et illustrateur, il est à la manoeuvre sur tous les fronts, c’est un artiste complet qui peut jongler entre deux univers, celui du verbe et celui du dessin. C’est un très vieux fantasme pour moi, je l’avoue, comme ça l’est probablement pour beaucoup d’autres « simples » auteurs ou illustrateurs qui n’ont qu’une petite corde solitaire à leur arc. Si j’avais eu le talent pour le faire, j’aurais adoré être auteur de BD, oui, et j’aurais même poussé le vice jusqu’à composer la bande-son ! (Car la bande-son manque parfois cruellement à la BD, comme aux romans, je trouve).
Je suppose que beaucoup de créateurs rêvent ainsi d’agrandir leur champ d’expérience, de repousser leurs propres barrières. D’aller brouter ailleurs l’herbe toujours plus verte qui pousse dans les prairies (étoilées) du voisin...
Et puis le dessin, comme la musique, sont magiques pour un auteur.
Pensez : pouvoir tout dire - et plus encore - sans un seul mot !
Ceci dit, je ne connais pas grand-chose en BD, je ne suis pas du tout spécialiste du genre, loin de là. J’en ai lu beaucoup lorsque j’étais jeune, (autant dire hier), mais je n’en lis presque plus aujourd’hui. Faute de temps, faute d’avoir évolué avec cette culture foisonnante, dans laquelle je n’ai plus de points de repères.
Mais je ne pense pas que mon manque de références en la matière change quoi que ce soit à l’histoire, puisqu’elle ne parle pas de moi mais de Merlin qui, lui, connaît bien son affaire.
D’une façon plus générale, ce qui m’intéressait surtout c’était de parler de la création, ce qui fédère tous les artistes quelle que soit l’expression de leur art.
Tenter de parler de ce profond mystère, de tout ce qui s’élabore doucement en cuisine, de tout ce qui mijote à feu doux sur le fourneau. D’où ça vient, et surtout : comment ?
C’est une chose que je fais assez souvent - lorsque je suis amenée à rencontrer des lecteurs - et pourtant je me sens toujours aussi démunie, maladroite, misérablement floue, pour expliquer ce qui se passe dans la tête d’un auteur (en tout cas dans la mienne, qui est celle que je connais le mieux), lorsque le roman est en train de se construire.
Lorsque j’écris, je vis exactement ce que vit Merlin, cette invasion intempestive des personnages, ce sentiment de ne rien maîtriser, d’être – au mieux – leur complice, quand je ne suis pas seulement le témoin silencieux et surpris de leurs faits et dires.
Et puis, la création se tisse au jour le jour sur la trame de la vie. Elle se nourrit de ce qui nourrit l’artiste, elle fait écho, amplifie, rejoue différemment, ré-interprète.
L’anecdote du facteur régulièrement martyrisé dans la BD de Merlin, parce qu’il laisse des avis de passage sans jamais sonner au portail, montre bien les interactions entre la « vraie » vie et la vie inventée. Ce jeu d’aller-retour perpétuel, cette fusion intime entre fiction et réalité.
Il y a une résonnance particulière du réel pendant tout le processus de création.
Chez certains auteurs, c’est voulu, réfléchi, le réel est convoqué, cité à comparaître, mis en scène.
Chez d’autres, dont Merlin et moi faisons partie, l’irruption est totalement fortuite, ou ressentie comme telle.
Je suppose que pour un certain nombre d’illustrateurs BD le processus est le même, que les personnages évoluent, bougent, ont des expressions ou des attitudes qui n’étaient pas forcément prévues par l’artiste, lorsqu’il s’est mis à sa table de travail.
Choisir un illustrateur comme héros ne m’a pas posé de problème, bien au contraire, cela m’a permis de garder la petite distance nécessaire, la touche d’exotisme qui alimente l’inspiration.
Je me serais peut-être sentie moins libre si Merlin avait été un auteur, comme moi ?
Je ne sais pas.