[Critique] Un homme à la hauteur

Par Régis Marton @LeBlurayphile

Un film de: Laurent Tirard

Avec: Jean Dujardin, Virginie Efira, Cédric Kahn

France, 2016 Diane est une belle femme. Une très belle femme. Brillante avocate, elle a de l'humour et une forte personnalité. Et comme elle vient de mettre un terme à un mariage qui ne la rendait pas heureuse, la voilà enfin libre de rencontrer l'homme de sa vie. Le hasard n'existant pas, Diane reçoit le coup de fil d'un certain Alexandre, qui a retrouvé le portable qu'elle avait égaré. Très vite, quelque chose se passe lors de cette conversation téléphonique. Alexandre est courtois, drôle, visiblement cultivé... Diane est sous le charme. Un rendez-vous est rapidement fixé. Mais la rencontre ne se passe pas du tout comme prévu...

Un homme à la hauteur est-il un film à la hauteur? Vraisemblablement pas. Il n'est jamais simple de parler d'un film comme celui-ci tant le sentiment d'une fabrication hasardeuse, décomplexée et satisfaite, est prégnant. Il n'est évidemment pas question de cinéma dans ce film et il serait bien naïf de l'amener sur ce terrain. Si intérêt il doit y avoir, il est sociologique. Soit, comment à force d'argent et d'égocentrisme un homme de petite taille parviendra-t-il à conquérir la femme de ses rêves? S'il s'agit bien d'un conte ( La Belle et la Bête, La Princesse et la Grenouille, voire Le Vilain Petit Canard) transposé dans un univers contemporain plutôt chic et snob, sa dimension universelle est mise au placard, remplacée par un guide façon " L'ascension sociale pour les Nuls " où tout converge vers un but ultime; celui du nouveau riche. La question que pose implicitement le film est : aurait-il été possible avec un personnage pauvre, ou même de condition modeste? On sent bien que non et que c'est peut-être même ce qui justifie un film comme celui-ci.

Je passerai ici la lecture freudienne que sous-tend le film plus ou moins malgré lui, mais il est vrai qu'après sa vision on se dit que, tout de même, quand ça ne fonctionne pas au lit, il est toujours préférable d'avoir un portefeuille bien rempli et une grosse bagnole. De fait, la rivalité puis la complicité qu'affichent Jean Dujardin et Cédric Kahn dans leurs personnages respectifs, n'est, disons-le, qu'une histoire de " taille ". La vraie question concerne le modèle social véhiculé par le film dont le symbole semble être la réussite d'une riche carrière avec tous les agréments qu'elle comporte: le confort d'une grande maison (filmée à la manière d'une agence immobilière), une belle voiture, des costumes sur mesure avec les montres qui vont avec... Qu'on se rassure, l'argent ne fait pas le bonheur! Manque l'essentiel: l'amour. Ou plutôt, la femme. Car derrière ce cynisme éprouvant se cache en réalité un cœur qui bat (petit, donc) et un manque d'amour issu tout droit des blessures de l'enfance. Tout ce cirque, tout ce fric jeté avec complaisance à la figure du spectateur, n'est donc qu'un moyen d'acquérir une reconnaissance sociale sans laquelle l'Homme blanc semble décidément ne pas être grand chose (là encore, je passe sur Freud sans parler de Sarkozy). Tout ce petit monde se pose en modèle d'une société où l'argent est la seule valeur commune, ou le gain est la seule utopie. Cette vision du monde est effrayante tant elle est décomplexée et arrogante (les scènes navrantes où le père et le fils s'échangent des billets) et récupère tout ce qui lui échappe (le héros est amateur de culture puisqu'il conçoit les plans d'un opéra en construction). Il devient pénible de voir que l'exhibition d'un haut niveau de vie devient un véritable sujet vecteur de succès. Après Un moment d'égarement, Mon Roi et plus récemment Five, Un homme à la hauteur poursuit cette tendance ringarde et malfaisante.

La femme donc. Le dernier objet de prestige à n'avoir pas encore été exposé en vitrine. Mais comment la conquérir quand on mesure 1m36? En l'achetant bien sûr! Le droit de propriété est roi. Si le film fait semblant de se moquer des hommes, qui tentent de se hisser à la hauteur des femmes, c'est bien pour rabaisser celles-ci. Ainsi, la vision d'une femme agenouillée aux pieds d'un homme debout conclut le film, et révèle ses positions. Ce sexisme affiché ouvertement, le perpétuel recours à l'argent comme seul moyen de résoudre les conflits pour parvenir à une connivence obligatoire rend les personnages franchement détestables, au point de déteindre sur les acteurs eux-mêmes. Jean Dujardin, plus gênant que jamais dans son rôle de beauf plein aux as, devient un vrai repoussoir une fois tombée l'illusion de la comédie, sans parler de Cédric Kahn qui fait peine à voir. Seule Virginie Efira s'en sort avec les honneurs. Peut-être est-ce parce qu'elle ne semble pas dupe des enjeux du film et s'en amuse suffisamment pour adopter un certain détachement, tout le contraire du volontarisme exaspérant de Dujardin. Plus généralement, la mise en scène de Laurent Tirard est déserte, sans l'ombre d'une idée. Et, concernant le " trucage ", argument de vente du film, il est peu convainquant. Autant dire que les ambitions de Tirard se mesurent à une échelle naine, tant il ne vise rien d'autre que la télévision comme seul horizon de son film. Néanmoins, son succès annoncé fait écho à son sujet: comment un film si petit peut-il brasser autant d'argent?

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