Tribune de MARIE LE VERN
Députée de Seine-Maritime
Conseillère Départementale du Canton d’Eu-Blangy-sur-Bresle
Vingt-neuf, c’est le nombre de pas à faire depuis la sortie de l’Hémicycle jusqu’à la salle des quatre colonnes, lieu de rencontre habituel entre les députés et les journalistes. J’ai bien conscience que ce n’est pas tant la distance physique que culturelle qui freine certaines victimes de harcèlement sexuels à témoigner, même lorsqu’elles sont députées, et que leur courage doit être reconnu et salué sans réserve.
Oui, les politiques doivent être exemplaires et doivent casser le silence. C’est la moindre des choses.
Mais tout de même… N’oublions pas que le monde politico-médiatique est un microcosme, essentiellement urbain, dont le bouillonnement surexposé ne doit pas dissimuler la réalité de la société française. C’est pourquoi, dans cette prolifération de titres faisant référence à « l’omerta en politique », je ressens aussi un certain malaise.
Depuis lundi, je pense à Christine.
Christine est cette femme que j’ai rencontrée dans l’une de mes nombreuses permanences sur mon territoire, très rural, trop souvent enclavé. Employée depuis des années dans une petite entreprise locale, où elle est la secrétaire-comptable et la seule femme, elle aussi est victime du même harcèlement. Elle est venue me voir pour me demander ce qu’elle pouvait faire. Christine n’ose pas rabrouer directement son agresseur. C’est son employeur. Il est celui qui lui permet de payer ses factures et de manger. Il n’existe aucune association ou structure d’accompagnement spécifique pour les femmes sur ce territoire. Aller en ville ? Elle s’est persuadée qu’il n’y aura aucune suite.
J’ai pensé à Christine en me demandant ce que pouvait lui inspirer le tapage médiatique ambiant. La vérité c’est que cette affaire ne change rien à son quotidien. Elle ne peut pas rendre public ce qu’elle vit. Il ne lui suffit pas d’aller salle des quatre colonnes raconter sa vérité pour que son courage soit loué. Il ne lui suffit pas de passer un coup de fil pour que la presse livre à la France entière le harceleur qui est son supérieur hiérarchique.
J’ai pensé à Christine et je me suis demandé si nous n’étions pas nombrilistes. La classe politique reste malgré tout une classe privilégiée. Je ne retire pas aux victimes le courage qu’il leur a fallu pour s’exprimer. Seulement, les Christine, les anonymes, n’ont pas les mêmes moyens de défense, le même réseau de soutien que les journalistes ou les députées. Pour elles, le plafond de verre est très bas, elles le touchent déjà.
Cessons donc l’entre soi de la classe politico-médiatique. Ce n’est pas la culture de ce milieu qu’il faut changer, mais bien la culture du harcèlement. Si les affaires qui se succèdent font réagir, il faut veiller à ce que l’écho s’en fasse entendre pour TOUTES les femmes victimes des mêmes agissements dans leur cercle professionnel.
Des améliorations législatives peuvent être envisagées pour faciliter l’émergence de la parole des femmes qui vivent des situations similaires à celle de Christine. Il pourrait, par exemple s’agir d’allonger la durée de prescription pour le délit de harcèlement sexuel. Une proposition de loi est en cours d’examen au Sénat, et ce Gouvernement a déjà beaucoup fait pour prévenir toutes les formes de violences faites aux femmes.
Je crois que pour changer une culture, il faut des militants sur le terrain. Cela passe par l’éducation et la régénération d’un maillage associatif dense sur tout le territoire. Dans les zones rurales enclavées plus qu’ailleurs, les lieux de sociabilité et d’écoute susceptibles d’accompagner les victimes disparaissent plus qu’ils ne renaissent.
A côté du féminisme de salon, il faut penser, et surtout créer, un féminisme des champs et des banlieues.