Encore un ouvrage sur l’actualité politique ?
Certes ; et un livre si ce n’est de commande, du moins de connivence. L’auteure est journaliste, elle a pendant quelques mois appartenu au cabinet de Rachida Dati, elle ne tait pas son amitié et son admiration pour Virginie Calmels, la « pépite » d’Alain Juppé à Bordeaux et en Aquitaine. Le livre commence en effet par une immersion dans le meeting de la candidate aux élections régionales, un grand barnum de théâtre où les féaux viennent chauffer la salle … la scène est bien cruelle pour Michèle Alliot-Marie.
Gaël Tchakaloff – spécialiste des portraits – s’attèle au décryptage d’Alain Juppé, ce bloc de glace ! Elle va y passer 18 mois « ferme » et s’y dissoudre en interviews avec tous ceux qui l’entourent : ses amis de régiment, ses condisciples d’hypokhâgne et de l’ENA, ses anciens ministres, ses collaborateurs proches ou occasionnels, ses épouses, ses enfants … et finalement, elle réussira à lui poser quelques questions. Pourtant, c’est peu dire qu’Alain Juppé n’est pas fan des intrusions et se méfie des journalistes. L’entreprise vise à savoir si le dernier robot à la mode cache une forêt irrationnelle et émotionnelle (parfaitement maîtrisée), « un cœur qui fait le grand huit ».
L’écriture est alerte, mais l’émotion submerge l’auteur. Elle entremêle des notations personnelles qui rendent la lecture moins passionnante. Les images répétées issues de la culture populaire, et plus précisément du cinéma, finissent pas lasser. Le lapin, c’est une référence à celui d’Alice, toujours à consulter sa montre. Mais Alain Juppé lui-même reconnaît qu’il n’a pas pu s’habituer à la montre de gousset que lui avait offert son épouse Isabelle, agacée de le voir sans cesse consulter son poignet. Je n’ai pas trouvé les merveilles. Mais, parfois, des allusions insaisissables : « Pour Alain, la paille dévorée à pleines dents n’a pas éteint la lumière du bout du couloir. Elle a juste modifié la couleur du tapis. » Comprenne qui pourra !
Passons sur les ravages de la politique sur l’éducation des enfants des hommes qui la font. Un poncif. La dévotion que lui portent ses deux épouses successives est tout de même une surprise.
L’idée de base : « Alain Juppé sait faire la pédagogie de ses projets pour la France, mais, en aucun cas, celle de lui-même. » Les personnes qui parlent d’Alain Juppé se déclarent soit complètement accros soit méchamment rancunières – comme Alain Baroin.
L’objectif du livre est-il atteint ? Je n’en suis pas persuadée. En tous cas, la perception que j’avais d’Alain Juppé n’est pas fondamentalement modifiée après sa lecture. On retiendra les stigmates laissés par la découverte du génie d’un gamin dans une famille dont l’origine sociale et culturelle est en décalage avec ses immenses capacités intellectuelles, la loyauté du brillant second jusqu’à porter le chapeau, le moment où l’aboutissement d’une carrière est en vue alors que le vieillissement guette …
L’avenir dira si ce type de littérature emporte d’adhésion du plus grand nombre. La route est encore longue.
Lapins et merveilles, récit enquête de Gaël Tchakaloff, chez Flammarion, 266 p. 19€