Quand chaque jour qui passe nous apporte son lot d'innovations, le mot « disruption » tend à être galvaudé. Cependant, les véritables révolutions – de celles qui marquent leur époque – restent rares. Il existe pourtant au moins un concept en vogue actuellement qui porte un sérieux potentiel de transformation globale : la « blockchain ».
Ce ne sont (évidemment) pas les applications envisagées par les institutions financières – finalement toujours très proches des modèles en place (par exemple, lorsqu'elles imaginent un substitut au réseau de messagerie Swift ou un mode alternatif de conservation des titres) – qui sont particulièrement représentatives de cette hypothèse. En revanche, le système que développent, depuis octobre 2013, l'équipe et la communauté La'Zooz fournit une démonstration brillante des possibilités de la blockchain.
De quoi s'agit-il ? Au premier abord, La'Zooz pourrait être considérée comme une « simple » solution collaborative de covoiturage. Toutefois, à y regarder de plus près, on peut y trouver bien plus, jusque à l'esquisse d'une économie parallèle auto-gérée des transports. En effet, l'ensemble de son fonctionnement, depuis la création des applications mobiles jusque au partage de trajets, est placé sous le contrôle de tous les participants, sans qu'aucune autorité centrale n'ait jamais son mot à dire.
En pratique, la technologie qui rend possible une telle vision est une blockchain spécialisée, destinée à gérer une monnaie virtuelle baptisée Zooz. Comme son grand frère le bitcoin, cette dernière est « minée », c'est à dire créée par sa communauté en contrepartie d'un travail rendu. La similitude s'arrête là car ce qui est rémunéré dans le cas présent n'est pas une puissance de calcul mais une participation à la mise en place et aux opérations du service de covoiturage qui constitue la cible (initiale) du service.
Les contributions dont il est question peuvent être de différentes natures. Au plus simple, des investisseurs apportent leur écot et aident ainsi au financement des infrastructures essentielles. Puis viennent, bien entendu, les concepteurs, développeurs et autres designers : tous les logiciels produits sont sous licence libre mais leurs créateurs sont rétribués, en Zooz. Incidemment, dans ces circonstances, le « salaire » versé est déterminé par un vote de la communauté, en fonction de la valeur apportée au projet.
Une troisième option, disponible sous les traits d'une application mobile (pour Android, à ce stade), consiste à enregistrer et partager ses trajets automobiles. Considérant que le modèle de covoiturage n'est viable qu'à condition d'atteindre une masse critique d'utilisateurs, l'objectif fixé dans cette étape préliminaire est donc de récompenser les adoptants précoces, qui démontrent qu'ils sont prêts à proposer leurs places libres, et autres évangélisateurs, concourant à la popularité et à la diffusion du logiciel.
Bien entendu, lorsque le nombre de participants sera considéré suffisant et que le service sera effectivement mis en œuvre, les Zooz serviront également de monnaie d'échange dans les transactions entre conducteurs et passagers (celles-ci étant prises en charge automatiquement par la blockchain). Il faut également remarquer que, si le covoiturage à la demande est l'application visée en priorité, d'autres formes de transport collaboratif pourront être intégrés (par exemple pour la livraison de colis).
Rien ne permet de savoir aujourd'hui si l'idée de La'Zooz parviendra à se matérialiser, d'autant qu'il faut avouer que les principes et règles instaurés semblent relativement complexes (j'ai tendance à considérer que complexité = fragilité). Cependant, quel que soit son avenir, l'expérience représente un point de repère – ou, pour l'exprimer différemment, une référence absolue de la disruption possible – pour tous les acteurs dont elle paraît menacer les modèles, des banques aux services de VTC…