Facebook manipule l’actualité, et voici pourquoi vous devriez vous en balancer royalement

Publié le 12 mai 2016 par _nicolas @BranchezVous
Exclusif

Grosse tempête médiatique lancée par Gizmodo ces jours-ci : plutôt que de laisser ses algorithmes décider seuls de ce qui est assez important pour faire partie de la section Trending Topics, Facebook emploierait les services d’une équipe de curateurs humains.

Pire, ceux-ci auraient tendance à étouffer les nouvelles à connotation conservatrice et à injecter dans le système des sujets de leur cru dont personne ne parle sur Facebook. Ce que Facebook nie, par ailleurs.

Évidemment, tout ce qui grouille et grenouille dans les milieux de droite s’est immédiatement insurgé, de Fox News jusqu’au caucus républicain de l’absurdissime Sénat des États-Unis qui songe sérieusement (façon de parler) à convoquer Mark Zuckerberg pour lui passer un savon en audiences publiques.

Ils ne devraient pas s’en faire autant. En fait, ils devraient hausser les épaules et passer à autre chose. Vous aussi, d’ailleurs, et pas seulement parce que la plupart des utilisateurs francophones ne voient à peu près jamais la liste des contenus populaires dans leurs fils d’actualité Facebook.

Raison no 1 : Parce que le contenu populaire n’a pas d’importance

Le principe d’un réseau social, c’est de choisir qui et quoi on suit. Le principe des Trending Topic, c’est de nous exposer à des sujets qui ne font pas partie de ce que l’on a choisi soi-même, c’est-à-dire le contraire du principe d’un réseau social.

Au mieux, on y découvre quelque chose de vaguement intéressant une fois sur 1 000, tandis que le reste du temps il s’agit d’une sorte d’intrusion plus ou moins bienvenue.

Autrement dit, les contenus populaires fonctionnent un peu beaucoup comme de la publicité. Au mieux, on y découvre quelque chose de vaguement intéressant une fois sur 1 000, tandis que le reste du temps il s’agit d’une sorte d’intrusion plus ou moins bienvenue. 

Par exemple, pour des fins de recherche lors de la rédaction de cet article, j’ai visité pour la première fois de ma vie la section Moments de mon application Twitter pour savoir ce que l’Univers pensait que j’avais besoin de savoir. J’y ai trouvé :

  • Une vidéo du premier test du train Hyperloop (que j’avais déjà vue avant);
  • Un lanceur des Mets qui frappe deux circuits dans un match (déjà vu ça aussi);
  • Un gars qui a trouvé un message honnête dans son parebrise après un accident de voiture (dont je n’ai rien à cirer);
  • Une bagnole tombée dans un trou en Angleterre (vraiment rien à cirer);
  • Les confessions d’une animatrice de talkshow américain sur le départ de son coanimateur (crissement rien à cirer);
  • Une espèce de concours pour visiter le plateau de tournage d’une télésérie (soit une pub déguisée pour une émission dont je n’ai profondément rien à cirer).

Globalement, parmi les sujets que je ne connaissais pas déjà auparavant, il y avait deux ou trois trucs vaguement rigolos que j’aurais fort bien pu ne jamais voir sans que ça ne change quoi que ce soit à ma vie, et une grosse pelletée de niaiseries. Rien d’indispensable, ou même de minimalement utile.

Next…

Raison no 2 : Parce que Facebook manipule tout

On le sait depuis longtemps, ce que l’on voit sur le fil d’actualité de Facebook n’a rien d’impartial. 

Illustration : Tim Lahan (Wired).

Parfois, l’entreprise expérimente sur ses membres en choisissant de masquer ou de mettre en valeur certains types de contenus. Parfois, Facebook aurait saboté sa propre application Android pour tester la loyauté de ses utilisateurs. Et qui peut bien dire quoi que ce soit au sujet des algorithmes ultra-secrets qui choisissent ce qui devrait supposément vous intéresser en fonction de ce que vos amis ont liké et de vos comportements passés? Quels poids accordent-ils à quels facteurs? N’y a-t-il pas, là aussi, une sorte de biais cognitif, conscient ou non?

Un sondage du Pew Research Center a déjà calculé que 30% des Américains reçoivent au moins une partie de leurs nouvelles sur Facebook. Fort bien; à condition qu’il ne s’agisse pas de leur seule source d’information. Parce qu’une seule source d’information, c’est souvent bien pire que pas de source d’information du tout.

Raison no 3 : Parce que l’alternative, c’est de se fier à l’impartialité d’Internet

S’insurger contre la présence d’une curation humaine dans la sélection des contenus populaires, c’est vouloir s’en remettre à la force du nombre. 

Aucune chance que ça tourne mal sur Internet, n’est-ce pas?

Rappelez-vous ce qui se produit quand on se fie exclusivement à la sagesse des foules virtuelles. Parfois, le résultat est rigolo, comme lorsqu’un concours a baptisé un navire de recherche britannique «Boaty McBoatface», une décision promptement renversée par un ministre dépourvu de sens de l’humour. Parfois, ça tourne mal, comme la twittosphère a transformé l’innocente intelligence artificielle de Microsoft en monstre néonazi en moins de 24 heures. Et parfois, la manipulation du pouvoir de ces foules permet de saboter un processus légitime, comme ce fut récemment le cas pour la deuxième année consécutive dans les mises en nomination aux prix Hugo, les Oscars de la science-fiction. 

Une manipulation, soi dit en passant, organisée par un groupe de radicaux de droite.

Raison no 4 : Parce qu’aucun média n’est impartial

Évitons la question de savoir si Facebook est un média et assumons que c’est le cas. Par quelle logique ce média devrait-il être soumis à des règles différentes des autres?

Tout média possède une ligne éditoriale. Par exemple, Branchez-vous ne publiera probablement jamais d’articles anti-science et anti-technologie, parce que cela serait stupide et que cela aliénerait son auditoire. Un exemple plus flagrant : Fox News se vante d’être «fair and balanced» («juste et équilibré»), mais il suffit d’avoir un cerveau plus actif que celui d’un rhododendron pour savoir qu’il s’agit d’un organe de propagande de droite, et jamais le caucus républicain au Sénat ne convoquerait sa direction en audiences publiques pour lui servir des remontrances à ce sujet.

Au Québec, La Presse est un journal ouvertement fédéraliste qui penche au centre-droit; Le Devoir, un journal nationaliste qui penche au centre-gauche. C’est normal, et ce n’est rien à côté de ce que l’on observe au Royaume-Uni, en France ou au Brésil.

Soit, l’utilisation par Facebook d’une escouade de modérateurs secrets pour changer les résultats de son propre algorithme peut sembler louche. Mais ce n’est pas forcément plus condamnable, ni moins transparent, que le processus par lequel n’importe quel média choisit les nouvelles qu’il couvrira et la manière dont il les traitera.

Dès qu’il y a curation, humaine ou algorithmique, il y a sélection. Et dès qu’il y a sélection, il y a biais de sélection. C’est inévitable.

La leçon du jour

Aux États-Unis, les médias de droite sont partout. Outre Fox News, il y a la radio parlée conservatrice qui domine complètement le marché, une flopée de journaux du respecté Wall Street Journal au beaucoup moins respecté Washington Times, une horde de sites web de toutes sortes, et même Conservapedia, une encyclopédie écrite d’un point de vue chrétien fondamentaliste. 

Bref, la pensée conservatrice est tout sauf muselée. Pourquoi, alors, la droite s’insurge-t-elle soudainement contre Facebook? Pas parce que l’information qu’on y retrouve est biaisée, mais parce qu’elle n’est pas biaisée dans la bonne direction

Je le répète, les contenus populaires agissent comme une forme de publicité, et ceux qui attaquent Facebook aujourd’hui considèrent qu’ils sont lésés de leur juste part de cette publicité gratuite. Sans doute espèrent-ils que, si plus de gens sur Facebook sont exposés à leurs idées sans l’avoir demandé, certains d’entre eux seront convaincus de passer à droite. Après tout, l’âge médian des téléspectateurs de Fox News est de 67 ans, ce qui n’est pas exactement un gage de succès à long terme, et Facebook pourrait constituer un formidable outil de recrutement si l’on souhaite recruter ailleurs que dans la salle commune du CHSLD Sainte-Mitraillette-de-l’Enfant-Jésus.

La leçon : traitez les «contenus populaires» comme vous traitez la publicité. Ignorez-les, ou consommez-les avec un regard critique. 

Et tant que vous y êtes, faites donc la même chose avec toutes les sources d’information, et incitez vos proches à faire de même. La société ne s’en portera que mieux.