Alors bon, papy, voilà, tu t’es pris une balle pour la France, un obus peut-être, tu as perdu un bout de mâchoire, une jambe ou quelques mètres d’intestin voire ta vie dans une bataille qui tua ou blessa plus de 700.000 personnes. Pour te remercier 100 ans plus tard, on a décidé qu’on se trémousserait dans une souarée-concert bien plus festive que citoyenne, animée par un délicieux chanteur de rap aux envolées lyriques aussi calibrées que les projectiles lancés à Verdun et que tu te prenais sur le coin de la tête. Cette classe inouïe, c’est aussi ça, la République Irréprochable de Hollande. Alors, papy, heureux ?
Vous l’avez compris, on assiste encore une fois, quasi-médusé, à une nouvelle grande idée de l’Exécutif actuel : commémorer le centenaire de la bataille de Verdun, le 29 mai prochain, avec un rendez-vous « populaire » tourné vers la jeunesse (probablement parce qu’il n’y a plus de Poilus survivant et qu’en vertu de ça, c’est Open Bar je suppose), assuré par le rappeur Black M issu du groupe Sexion d’Assaut.
On en viendrait presque à oublier ce qu’on commémore fête ainsi. Koz se pose la question, en tout cas, et à raison. On ne peut qu’éprouver de la consternation en imaginant que cette idée a pu germer dans un des esprits qui entourent le Président, d’imaginer qu’il a pu l’accepter ou, a contrario, qu’on a pu poursuivre sur cette lancée ridicule sans le mettre au courant. Ou alors, si l’on est pas consterné, on se forcera, cynique, à imaginer le Chef de l’État choisir volontairement, consciemment, cet « artiste » pour un nouvel affront à ceux qu’il verrait, dans cette hypothèse, comme la vieille France rance et conservatrice.
Certains continuent de considérer le président et ceux qui l’entourent comme de parfaits imbéciles, alors que si on leur attribue méchanceté et cynisme sans bornes, on obtiendra le même résultat et en définitive, ce qui passe pour des bourdes n’est alors qu’une nouvelle démonstration d’un total foutage de gueule à la fois arrogant et parfaitement assumé.
De fait, cette hypothèse ne vient pas de nulle part. Elle est même très bien étayée par ce qu’on observe en périphérie.
Prenez Sapin, ce bedonnant ministre dont les performances à son maroquin le placent définitivement dans la catégorie des inutiles trop opulents. Apparemment plus habile à tripoter le porte-monnaie du contribuable que leur culotte, ce ventripotent appendice ministériel a malencontreusement ripé sur celle d’une journaliste. Comment imaginer que ce geste, effectivement inapproprié, n’est pas en réalité une quasi-habitude, une démonstration, là encore cynique et détachée, du pouvoir dont il dispose, celui de faire à peu près n’importe quelle énormité (à commencer par planter tout un pays) sans encourir la moindre sanction, en restant donc irréprochable ?
Prenez Baupin, cet autre exemplaire rondouillard d’élu dispensable parvenu à son poste par une série de circonstances politiques que la lucidité qualifierait d’aggravantes : Médiapart révélait il y a quelques jours que Baupin se serait lui aussi rendu coupable de comportements sulfureux voire carrément répréhensibles. Décidément, la montée de la sève printanière chez nos deux résineux provoque des dégâts, mais si pour Sapin, on peut vaguement admettre un moment d’égarement, pour Baupin en revanche, la récidive et l’habitude ne font aucun doute.
Or, chose intéressante, certaines élues, voire féministes, de tous les combats pour dénoncer ce genre de comportements, savaient pourtant depuis longtemps ce qui se tramait :
En gros, tout le monde savait. Il faut être honnête. (…) Je ne tombe pas de ma chaise.
Ici, Clémentine Autain était donc parfaitement au courant des agissements de Baupin, et elle a courageusement choisi de fermer sa gueule, probablement parce que c’est ça, la politique. D’autres avaient encore plus subtilement choisi de ne rien voir ni entendre. Et parce qu’à un certain niveau de responsabilité, on devient assez vite, comme la République, complètement irréprochable. Et puis, ce n’est pas comme si une précédente affaire impliquant un homme politique irréprochable n’avait pas déjà eu lieu, et qu’en conséquence, le doute était donc encore permis sur la marche à suivre et l’alerte à donner.
On pourrait aligner tant d’autres affaires, de Thévenoud à Andrieux en passant par Baylet, on arriverait toujours à la même constatation : toujours aucun reproche.
En fait, de sapinades en baupinades, on a dépassé, de très loin, la doléance, la critique ou le reproche. De ce point de vue, la République est irréprochable parce qu’on est loin, très loin et très au-delà du simple reproche.
En fait, c’est un malentendu gênant dont il est question ici : quand Hollande déclarait vouloir une République Irréprochable, là où tout le monde croyait entendre un appel à une République nettoyée de ses élus véreux ou aux comportements honteux, le candidat signifiait simplement qu’il serait impossible de reprocher quoi que ce soit à ses élus sous sa version de la République. Dans ce cadre, la République irréprochable n’est pas un objectif, c’est une façon de penser : qu’elle le soit ou non n’est ici d’aucune importance et n’a aucune pertinence sur les actions menées. La République est pensée comme irréprochable, c’est-à-dire que quoi que le Camp du Bien puisse faire, il sera irréprochable.
Enfin, on ne pourra s’empêcher de noter le timing diabolique de ces révélations.
L’histoire se répète ironiquement : en mai 2011, un an avant les élections présidentielles qui virent Hollande se faire élire, explosait l’affaire DSK qui allait le mettre définitivement hors-course. Un an avant les élections de 2017, en mai 2016, on retrouve une belle affaire de mœurs aux relents de ce précédent sulfureux. Amusante coïncidence et ironie du sort qui donne, une fois encore, une carte supplémentaire à Hollande, en amoindrissant la position des écologistes tant au gouvernement (au travers de Cosse, l’épouse de Baupin) qu’à l’Assemblée où les dissensions internes sont ravivées par cette révélation.
Non, décidément, il est impossible d’accréditer la thèse d’un président complètement dépassé par les événements et balloté par des conseillers en communications aiguisés comme du saindoux ; en revanche, celle d’un président flambidouilleur et calculateur continue de tenir la route.
Et dans ce cadre, il est impératif qu’il soit et continue d’être irréprochable.