Grange de Dorigny, mi-mai, début de soirée : cinq comédiens, un arbre, des branches et un écran. Sur scène, une pensée vive et en perpétuel mouvement. Autour, des conférences, des bouquins, et des discussions. Bienvenue à l’événement : « Hommes-animaux : mondes partagés ». Une collaboration entre la compagnie Shanju et l’Interface Sciences-Société de l’UNIL.
« Quel crime d’engloutir des entrailles dans ses entrailles ! D’engraisser avidement son corps d’un autre corps et de vivre de la mort d’un être vivant comme nous ! »
Les mots sont de Pythagore et datent du VIe siècle avant Jésus-Christ. Difficile, vous l’admettrez, de remonter plus loin dans l’histoire de la pensée humaine. Ce qui laisse deviner que, depuis pratiquement toujours, les êtres humains – ou en tout cas une partie d’entre eux – se sont interrogés sur cette pratique, commune pour certains, discutable pour d’autres, inimaginable pour quelques-uns, qui consiste à tuer les animaux pour les boulotter.
Il s’agit en réalité de tout un mouvement sous-jacent, parsemant la littérature depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, comme sorte de contre-champ à l’histoire officiellement retenue par les livres de cours, l’enseignement scolaire et même académique. Une « contre-histoire », pour reprendre les termes de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, l’homme qui a rassemblé une partie de ces textes dans l’Anthologie d’éthique animale (PUF, 2011). Anthologie qui ne traite pas seulement de bouffe, d’ailleurs, mais aussi de vivisection, de chasse, d’écologie, de zoo, de corrida et de toutes ces sortes de choses sympathiques.
La compagnie Shanju s’est emparée de l’ouvrage afin d’en extraire quelques grands noms et d’autres moins connus, pour les mettre en lumière, en image et en voix. Elle a appelé ça « lecture », mais en fait c’est un peu un mensonge. Car sur les quelque 40 extraits sélectionnés, seuls deux ou trois sont réellement lus. Les autres sont scandés, clamés, joués, dialogués, illustrés, chantés, entremêlés dans une mise en scène qui ne laisse pas vraiment la place à l’ennui. Non, vous n’en saurez pas plus – fin de l’alerte spoiler.
En fait c’est une mode
Mais tout ceci n’est en réalité que la seconde partie d’un spectacle qui aura déjà fait le tour du débat contemporain. Histoire de donner un peu de profondeur historique et philosophique à un thème qui est devenu si actuel qu’un simple événement Facebook concernant une sombre histoire de broche de pleine lune suffit à passionner les foules.
Et force est de constater que les arguments sont toujours les mêmes. D’un côté – le gras c’est la vie, arrêtez avec vos discours culpabilisateurs, de toute façon c’est un choix personnel, on a toujours mangé de la viande on est fait pour ça, et le lion et les gazelles, la viande éthique c’est possible, c’est juste une mode, protéines-protéines-protéines – comme de l’autre – assassins, vous mangez l’un vous caressez l’autre, moi aussi avant je pensais comme ça, vous verrez vous finirez par vous rendre compte, et la poule elle a signé un contrat ?, point Godwin.
La compagnie s’est donc largement inspirée de ces interminables débats qui envahissent les réseaux sociaux et les commentaires d’articles web. Pour ensuite prendre un peu de hauteur, chercher du côté de la sociologie, du droit, de la philosophie, ce que l’on dit actuellement sur la question avec un peu de recul. Alors certes, tout ceci peut paraître un peu – voire très – boring. Mais en fait il n’en est rien. Selon des sources proches du dossier, il y a même des moments drôles et des blagues sur le zizi.
C’est quoi le message ?
Et bien il n’y en a pas. Paradoxes, c’est son nom, n’est pas un spectacle végane, ni bobo, ni pro-élevage bio, ni anti-végétariens. En fait, comme tout le monde ramasse, c’est difficile d’en tirer une leçon univoque et bien proprette. Tant pis pour ceux qui aiment les solutions toutes faites. Tant mieux pour ceux qui n’aiment pas qu’on leur dise ce qu’ils doivent penser.
Car, comme son nom l’indique, Paradoxes a simplement pour mission de révéler au jour éclatant les multiples contradictions que l’on parvient si bien, mais peut-être de moins en moins à l’heure actuelle, à enfouir au plus profond de notre psyché devenue experte dans l’art de les ignorer.
Quant à l’Anthologie, qui lui fait écho, elle démontre que ce que certains dénoncent comme un « effet de mode » était en réalité déjà trendy chez certains pythagoriciens, renaissants, Lumières, athées, naturalistes ou autres poètes, écrivains, philosophes, juristes, utilitaristes, génies universels (OK, celui-là ne s’applique qu’à Leonard De Vinci), et même journalistes.
– Séverine Chave
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Infos pratiques
- Du 19 au 21 mai, Grange de Dorigny, 19h30
- Vendredi 20 : conférences dès 13h30 dans le foyer de la Grange et rencontre avec l’équipe artistique à l’issue de la représentation
- Réservations : ici ou au 079 562 92 52
- Tarifs : 20 CHF / 15 CHF / Etudiants 10 CHF
- Age conseillé : dès 12 ans
- Event Facebook
Titre : citation de Plutarque, De esu carnium, IIe siècle après J.-C.