La quintessence de la méditation tantrique

Publié le 11 mai 2016 par Anargala
Le cœur du cœur de la tradition du Cœur (kula), le véritable message des tantras (tantrasadbhâva) est la méditation de Shiva (shivamudrâ). Cette attitude, yeux et sens grands ouverts, attention retournée vers l'intérieur, est le Geste secret (rahasyamudrâ), l'expression émerveillée (vismayamudrâ), le Geste divin (divyamudrâ) qui est la pratique nécessaire et suffisante, la crème de la crème, le meilleur du Tantra. Tous les visages surgissent de la Lumière, dans la Lumière, sans séparation


Abhinavagoupta, grand maître du Xe siècle, la décrit à mainte reprises. Voici traduit l'un de ces plus beaux passages. Il en vient à cette évocation, visionnaire (c'est le cas de le dire) et fulgurante quand il affirme que rien ne sert dans le yoga, sauf cette "méditation", qui est aussi un geste, une expression, une attitude et un sceau, une empreinte qui intègre toute trace de dualité. C'est l'âme du hatha-yoga :Si le yogi repose en soi-même,dans le royaume de la Vibrationqui est la conscience de Dieu,ou encore si le yogijouit du Corps des yoginîsqui se manifestent clairementdans le flot des objets extérieurs,alors (son) état est la manifestationde la Vibration universelle,sans nul effort,c'est le Sceau de Dieuou la cible est à l'intérieur,et le regard vers l'extérieur.Quand on repose (en cet état),la Déesse suprême se déploieà nouveau en une création de jeuet de liberté, faite d'une multituded'actions particulières,(c'est-à-dire) du flot des choses,grâce à la délectationqu'est la prise de conscienceen forme de curiositéqui se tourne vers (les choses),savourant (ainsi) l'état véritablede la Vibration particularisée.Nourris et bénis par cette (conscience),les domaines (des sens) deviennent souverains,ils se mettent à manifester la libertéainsi que de merveilleuses réalisations.Quand on se stabilisedans (cette) consciencequi éradique toute prise et tout rejet,tout se manifesteen tant que Lumière consciente,Soi de conscience.Contemplant les chosesà travers ce regard non-duelqui est le miracle et l'émerveillement(qui sont le propre) de la conscience,on abandonne le dilemmeentre l'engagement dans l'actionet la renonciation à l'action.Plus on se familiarise avec ce royaume de Dieu,plus on pénètre son domaine suprême,sans nul effort. La conscience qui est entréeen cet (état) voit tout (sans séparation).De fait, la conscience se manifesteen prenant possessionde la Lumière.Ce qui n'est pas Lumière,étant privé de lumière,ne peut être manifesté...On l'a déjà expliqué en détail.Tous les mouvements s'immobilisentquand on se fond dansla Grande Inopinée,lac limpide débordant du flottorrentiel de nos propres rayons,absence de tout soucis,état où (les choses) sont vues clairement,mais sans nulle dualité.Pour autant qu'on demeure ainsi,les sphères sensorielles convergent. Elle suffisent (alors) à consumerla prison du samsara.Et cette divine confluence des sens,dans laquelle la croyance en la dualitéa disparue, est (la seule pratique)utile pour réaliser ce jeu gratuitqui nourrit la liberté souveraine.Quand, sans avoir besoin de fermer les yeux,on reste (ainsi) le temps d'un instant,l'univers est consumédans le grand Feu de conscienceengendré par cette (attitude).C'est le repos dans l'océande l'ultime félicité.Arrosées par ce nectar immortel, les déesses des sens sont rassasiéeset, en peu de temps,la peur de naître et de mourir s'évanouit.Car le corps, nos facultés et les chosesne sont que la cristallisationde notre conscience.Mais grâce à cette pratique,tout cela redevientnotre propre corps,une masse de conscience,car tout est dissout (en elle).Par cette seule pratique, l'inévitable perception des objets extérieursqui apparaissent quand on "sort" (de cet état)se manifeste comme perceptionde la félicité divine.Par cette seule (pratique), reçue de la lignée qui prend sa source dans la Bouche de la Yoginî,les guenilles des ténèbres sont arrachées,est il ne reste qu'une existencefaite de conscience.Quand le yogi commence à dilater la "bouche" de sa conscience,toutes ses perceptions venant reposerdans la Roue intérieurequi est la Source des rivières des sens,alors ses perceptions se dilatent violemmentdans l'absence totalede cette dualité qui consiste à saisir des objets.Et alors, toutes les différences,comme entre le bleu et le jaune,convergent vers la conscience.La séparation, la dualitéde la relation entre un sujet qui saisiet un objet saisiest tranchée à l'instantpar cette pratique reçuede la lignée qui jaillitde la Bouche de la Yoginî.Grâce à cette attitude (mudrâ) quigénère instantanément l'expérience,tout est "scellé" (mudrita),on réalise directement notre divinité :la conscience qui anime toute chose.Ce yogi, saisi d'émerveillement,"gagne" sa propre conscience,un état qui n'est pas perturbépar les objets qui apparaissent pourtant clairement.


Abhinava, Méditation sur le Tantra de la gloire de la Déesse, II, 76-99Cet essai de traduction ne rend certainement pas justice à l'original sanskrit, extrêmement difficile, haletant, débordant, lyrique, mais je n'ai pas pu m'empêcher...
Regardez ce doigt, et regardez dans la direction qu'il indique.C'est la méditation de Shiva (shiva-mudrâ), la quintessence du Tantra.