Le deuxième Domaine qui nous a reçu, Domaine des Chesnaies à Ingrandes-de-Touraine, a été une expérience unique.
Lourdement atteint par le gel, comme tant d'autres régions françaises, nous avons été particulièrement touché par tout simplement l'absence de plaintes et une discrétion confondante alors même que la perte de 80 % d'une récolte aurait pu justifier un ton de visite défaitiste. Certes, les vignerons savent qu'il y a ce risque chaque année, gel, grêle et autres maladies possibles, mais ayant ce sens si particulier du temps et de la souveraineté de la nature, ils ont incorporé depuis des générations les facteurs extérieurs qui touchent l'agriculture en général. Une leçon pour les geignards habituels !
Cela devient effectivement critique quand de tels désastres se suivent sur plusieurs années, comme actuellement à Pommard et Meursault, et malheureusement il y aura des propriétés qui ne pourront pas survivre à de telles calamités.
Si la Bourgogne peut ± modifier vers le haut sa politique de prix pour compenser un chouilla la perte financière d'une année morte, c'est mission impossible en Touraine : le marché ne sera en aucun cas solidaire. Dur à dire, mais c'est un fait.
Néanmoins, ici on a des stocks importants et cela pourra probablement permettre à plus d'un domaine de survivre après ce gel. Bref : on ne peut que se répéter : la seule façon pour nous d'aider de tels domaines est de mettre en cave des vins dont le RQP reste de premier ordre.
Venons en à cette visite historique dans les caves de ce vigneron aux trois noms familiaux : Lamé Delisle Boucard.
Secundo : le 1946 n'était pas prévu : reconnu urbi et orbi comme un millésime européen quasi nul, quelque soit la région. Mais comme sieur Philippe a su que c'était mon année de naissance (encore une fois, j'ai ouvert ma gg) il a pu en dégoter une bouteille, un millésime qu'il n'avait jamais dégusté. C'est vous dire un beau moment d'émotion ! Bon : le vin en bordelaise blanche (il était difficile de trouver le type de bouteille locale juste après guerre) a été fait par la grand-mère et s'il avait une réelle "maigritude", bien "champignonée", il restait parfaitement buvable, et là, je suis en euphémisme. Philippe m'a offert cette bouteille laquelle a fait ensuite plus de 400 km le lendemain pour être dégustée en famille où il avait pris une dimension nettement plus accueillante, avec suffisamment de rondeur pour dire un grand bravo à cette mamie des années 40 qui avait dû travailler dur pour que parvienne, 70 ans plus tard, sur nos palais un tel moment d'histoire. Imaginez simplement les conditions qui existaient à cette époque ! Comment on vinifiait sans contrôle des températures, comment on soignait la vigne avec les moyens et connaissances de l'époque ! Vraiment, il y a eu des générations extraordinaires dans nos vignobles européens ! Tertio : s'il y avait clairement un effet "cave" dans toute cette série de millésimes, on doit noter la classe exceptionnelle des années suivantes : 2010 et 2005 pour les années récentes. Les 1969 et 1959 hors normes : chefs d'oeuvre. et pour le 1947, Philippe avait ouvert les 3 couleurs : un Montlouis en blanc d'une autre propriété, un rosé et un rouge de la propriété, ces 3 vins étant un réel "benchmark", une référence unique de cette capacité ligérienne à offrir, 69 ans plus tard, des vins qui n'appellent qu'un seul commentaire : le silence.
Partout des phrases de grande sagesse, de Ronsard à Rabelais sans oublier l'Homme du lieu : Jean Carmet Chacun l'aura compris : il y a là en France un vignoble de mémoire, qui souffre d'un manque de reconnaissance dû à une politique de rendement sans souci qualitatif majeur pendant des décennies, mais lequel, maintenant, est capable de vous proposer des vins de soif, des vins de fruits, mais aussi de vins de garde avec ce cépage cabernet-franc qui a ici sa plus belle dimension, sa définition de référence. J'insiste sur un point : les prix sont quasi cadeaux, même pour les crus sortant du lot ! Une condition : y aller, faire le voyage, pour comprendre ces vignerons qui sont la mémoire vivante de générations ayant su garder, pour le futur, les traces, les preuves de leur amour du vin bien fait. Un gros bémol : il devient sacrément difficile de trouver encore des restaurants qui savent monter un beurre blanc pour un beau sandre de la Loire. Mais bon : mes lecteurs locaux ou autres qui ont des adresses, vous me les passez svp ! Ça manque et raz le bol des mulets ! Cardinal de Richelieu