Ceux qui restent de Marie Laberge 3/5 (13/04/2016)
Ceux qui restent (576 pages) sort le 4 mai 2016 dans la collection La bleue des Editions Stock.
L’histoire (éditeur) :
En avril 2000, Sylvain Côté s’enlève la vie, sans donner d’explications. Ce garçon disparaît et nul ne comprend. Sa femme Mélanie s’accroche férocement à leur ls Stéphane ; son père Vincent est parti se reconstruire près des arbres muets ; sa mère Muguette a laissé échapper le peu de vie qui lui restait. Seule la si remuante et désirable barmaid Charlène, sa maîtresse, continue de lui parler de sexe et d’amour depuis son comptoir.
Ce n’est pas tant l’intrigue qui fait la puissance hypnotique du roman de Marie Laberge que ses personnages, qui parlent, se déchirent, s’esquivent et luttent dans une langue chahutée, turbulente, qui charrie les émotions et les larmes, atteignant le lecteur au coeur.
Mon avis :
Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Le suicide de Sylvain Côté à 29 ans le 26 avril 2000 en est une. Pour ceux qui restent cependant difficile de vivre avec la violence et l’incompréhension de l’acte et difficile d’accepter ne pas avoir d’explication. Que la décision de Sylvain soit prise sur un coup de tête ou un choix mûrement réfléchi, elle reste pour son entourage un acte totalement imprévisible qui les laisse encore plus démunis. Bien plus cruelle que la mort, le suicide est une épreuve traumatisante que les proches doivent surmonter pour continuer à vivre.
C’est de cela que Marie Laberge évoque avec une incroyable humanité dans ce nouveau roman. Ceux qui restent est un roman choral qui offre la parole au père, la femme, la maîtresse, la mère… et leur donnent l’occasion de lâcher leur incompréhension, culpabilité, remord, agacement, frustration, douleur mais aussi et avant tout amour.
Parce que s’ouvrant et traitant du suicide on pourrait s’attendre à un livre sombre et déprimant, ce n’est finalement pas le cas. Portrait de famille décrit avec finesse, bon sens et une certaine sobriété, Ceux qui restent est un roman où la vie triomphe, même si avant d’en arriver là, questionnement, remise en cause et doutes rythment la lecture.
J’ai été agréablement surprise par la profondeur de ce roman qui touche de diverses manières. Charlène, la maîtresse au cœur brisé, Mélanie-Lyne, l’épouse devenue surprotectrice envers son fils, Muguette Coté, qui a perdu la tête et tout le reste en découvrant son fils ans leur maison familiale et Vincent Coté, son mari foudroyé par l’incompréhension de l’acte. Chacun est affecté à sa manière et chacun a quelque chose de fort à offrir au lecteur et à ceux qui restent.
Chacun, avec ses mots, sa sensibilité et son ressenti, communique son histoire et ensembles ils font se dessiner une histoire familiale pas si éloigné de la normalité. C’est aspect ordinaire (on est loin d’avoir affaire à des personnages extraordinaire ou exemplaires) est qui nous ébranle un peu plus aussi, et dans lequel on se retrouve un peu.
Si j’ai eu énormément de mal avec le vocabulaire typiquement québécois (qui a beau donner une jolie touche pittoresque, reste très difficile à saisir parfois), j’ai trouvé la plume de Marie Laberge très belle. Ses mots sont justes et frappent forts.
« Plus rien, jamais, n’a été pareil.
Ma vie a été tranchée en deux – il y a avant et après la mort de Sylvain. Avant et après le 26 avril 2000.
Parfois, j’ai l’impression qu’un sabre puissant a fendu mon corps en deux. Chaque partie palpite as aucune n’est vraiment vivante. » Page 31
« Y a une affaire avec le suicide, je pense. Comme si la personne décidait d’en finir mais que ceux qui restent peuvent pas en finir. Les suicidés, y nous refilent le problème. Y nous le laissent. Y nous disent : « Regarde : moi, je sacre mon camp. V’là mes hosties de problèmes, arrange-toi avec ! »
Je le sais que u l’as pas dit, je te parle de l’effet, je te parle de ce que ça fait. » Page 57
« On cherche, on s’accable, on pose mille questions, on rejette toute réponse – on voudrait tellement être autre chose que cet impuissant livré à la violence. Parce que c’est d’une telle violence. Parce que c’est inhumain, d’une atrocité innommable. Penser une seconde qu’on aurait pu faire quelque chose, dire un mot, ouvrir les bras, quelque chose pour empêcher le désastre, et les portes de l’enfer s’ouvrent. Et on s’engouffre dans les mille pourquoi qui ne mènent qu’au refus que cette mort nous crache au cœur. Comme si mon fils me hurlait : tu n’y pouvais rien, tu n’étais pas assez pour me retenir. J’ai choisis ma solution, celle qui t’exclut à jamais, celle qui te nie, celle qui te tuera beaucoup plus lentement et sûrement que ta propre mort. » Page 89
« La mort de quelqu’un qu’on aime, ça nous oblige à considérer comment on vit. A quel prix, à quel renoncement on consent.
La mort de Sylvain m’a obligé à tout remettre sur la table. Et à essayer de voir qui j’étais vraiment.
Et à vivre avec cet homme-là, sans haine. » Page 148
Et même si l’empathie ne marche pas toujours, la curiosité et l’intérêt pour tous ces personnages guident une lecture constructive et positive qui a quelque chose de lumineux.
« Le suicide de mon fils n’est pas un message. C’est son geste. Sa décision
Et cette décision a provoqué à son tour un cataclysme dans la vie de ceux qui vivaient près de lui. Avec lui.
Quand on ne peut pas échapper à ce qui nous arrive, il faut poser les armes et attendre que notre cœur émerge. Se refasse » .page 501