Voilà, peut-être, une question intéressante. C'est vous, chers lecteurs, qui me le direz. En tout cas elle m'intéresse personnellement au plus haut point.
Vous l'aurez compris, cette question, je me la pose au sujet de ce "non" irlandais qui empoisonne tout le monde, sauf les opportunistes à la De Villiers ou à la Le Pen, ou à d'autres "nonistes" de 2005 encore, que je n'aurais pas encore entendus.
Le problème que pose ce "veto" que nos amis irlandais opposent au traité de Lisbonne est de plusieurs ordres, mais se résume à la pertinence d'un principe.
A) Les différents aspects du problème d'abord
1) Aux termes du traité de Nice, en vigueur aujourd'hui, la règle de l'unanimité est quasi absolue, et en tous cas l'adoption du nouveau traité, celui dit de Lisbonne, doit être ratifiée par les 27 pays membres sans aucune exception. Cela signifie que la non-ratification par Dublin précipite de droit ce nouveau traité à la poubelle. C'est ce qui s'était passé en 2005 avec les "non" français et hollandais au projet dit "de constitution".
2) Mais l'Irlande compte 4,5 millions habitants, l'Union Européenne 495 millions. Peut-on considérer qu'il est "normal" que moins de 1 % des Européens bloquent tout le processus ? Ce blocage est légal, en fonction des traités en vigueurs, il n'est à l'évidence pas démocratique du tout.
3) Autre côté non négligeable du problème posé : ses conséquences, et en premier lieu le maintien d'un statu quo où presque toutes les prises de décision "au long cours" sont bloquées par des institutions où il suffit qu'un seul pays refuse pour que rien ne soit possible. C'est justement l'un des points les plus concrets du projet de traité de Lisbonne que de proposer une solution à ce problème rédhibitoire. On est donc en face d'un cercle vicieux : c'est le problème à régler qui est la cause principale de l'absence de solution à ce problème...
B) Le principe qui en est la cause maintenant : la démocratie.
Je suis un démocrate convaincu, et je considère que l'Etat n'a de légitimité qu'issue de la "volonté du peuple" comme dirait Mirabeau.
Mais l'Union Européenne n'est pas (encore) un état, pas même une nation. Doit-on dans ces conditions considérer qu'elle est une démocratie ? Je ne le pense pas. Et d'ailleurs, ses institutions elles-mêmes ne sont pas démocratiques, avec un Parlement qui n'a pas le vrai pouvoir législatif, un pouvoir exécutif qui n'est pas responsable devant ce Parlement, et un pouvoir judiciaire qui n'est encore qu'embryonnaire. Comment et pourquoi, dans ces conditions, vouloir lui appliquer les règles d'une démocratie constituée ?
On m'opposera, bien sûr, que chacun des pays membres est une démocratie, et que donc la ratification des traités européens doit de ce fait répondre aux règles démocratiques qui y sont en vigueur. Le raisonnement se tient, mais force est de constater que ça ne marche pas...
Si on avait soumis le traité de Rome à la ratification par référendum des 6 peuples concernés d'alors, il y a très gros à parier qu'il n'aurait jamais vu le jour.
Et si on remonte beaucoup plus loin encore, peut-on vraiment envisager que les Révolutionnaires de 1789 eussent conquis le pouvoir contre le roi si le peuple avait été largement consulté ? Certainement pas !
Cela signifie que "par la volonté du peuple", non seulement la Communauté Européenne, devenue depuis l'Union du même nom, n'aurait jamais vu le jour, mais encore la République Française, héritière chaotique de la Révolution, n'existerait sans doute pas non plus...
Qu'est-ce qui a permis leur avènement ? L'intérêt commun et la nécessité. Rien d'autre, et par la volonté des dirigeants, pas du peuple !
Et bien je prétends qu'il en va de même aujourd'hui de l'Europe. Pas seulement celle qui existe et qui ne fonctionne pas, mais celle qui reste à construire et qui doit, sous peine de plonger ses habitants dans la dépendance économique et politique, devenir cette grande puissance capable de rivaliser avec le reste du monde.
Les Européens, dans leur très grande majorité, ne sont pas contre la construction Européenne. Ils ont simplement peur d'y perdre leur identité, et pour certains leurs privilèges. Les deux risques sont totalement illusoires, mais leur ressenti est bien réel.
Une fois l'Europe valablement constituée, il faudra en faire une vraie démocratie, et ce sera le rôle du peuple européen de la bâtir. Mais les Européens d'aujourd'hui, trop mal informés, ne sont pas suffisamment convaincus par l'idée, et sont trop sur leurs gardes, pour franchir un pas dont ils ne comprennent pas l'importance et l'urgence. Il faut le faire pour eux, même si cela peut heurter certaines consciences.
Espérons que les 26 autres pays sauront trouver la solution au problème posé par ce vote négatif, que dans le meilleur des cas les Irlandais eux-mêmes, par un moyen ou par autre, reviendront sur leur décision, ou qu'on saura passer outre, quitte à leur attribuer un statut particulier. Après tout, il y a des précédents : le Royaume Uni par exemple sur certains points. Mais il faut le faire vite. Le monde n'attendra pas que nous soyons capables de relever les nombreux défis qu'il nous lance, et qu'aucun pays membre, isolément, ne peut assumer...