« La locomotive s'arrête en gare, déraille sur le côté et baragouine un truc qui pourrait passer pour un remerciement, une exaltation ou une prière au démon qui a permis à Marisol de voir le jour. Mais ça n'a pas d'importance, non aucune. Les chats et les porcs ont des épines sur la bite, se dit soudain Marisol. »
Francis est de retour à Barcelone dans l'appartement familial. Il retrouve son père, ouvrier à la retraite très modeste. Sa mère est morte et Marisol, sa demie sœur, s'est barrée. Les deux hommes sont au mieux étrangers, au pire ennemis. Deux individus guère reluisants et obsédés l'un par sa fille et l'autre par les clichés d'une vie rock'n'roll.
« Qu'est-ce que c'était bien quand tout ça te tombait dessus sans prévenir, en balayant toutes tes défenses. Au début, ç'a été comme ça. Puis il y eut la convulsion, la gourmandise, les trahisons. Les abandons, la routine, la merde, l'argent, les drogues. Les bastons. Les travelos. Un fix dans la bite. Ou de la coke sur la bite. Jusqu'à ce qu'un matin, tu te regardes dans le miroir, tout seul et cassé, regrettant de ne plus jamais connaître l'amour sans sexe (...). »
La musique et la gloire, le fric et les groupies, l'alcool et les drogues, c'est terminé pour Francis. A la cinquantaine, ses rêves d'ado ont tourné au cauchemar. Il n'a plus un sou, ni un endroit à lui, et sa femme a fini par le quitter en emmenant ses deux enfants. Il est revenu pour se reconstruire, tirer un trait sur son passé de musicien junkie, mener une existence plus stable, payer la pension alimentaire et revoir ses mômes.
« Une phrase, une griffure, un corps nu - et on passe à la suivante. Francis, Mr Franckie, essaie de retenir certaines d'entre elles, mais elles sont comme du sable qui lui file entre les doigts. Les souvenirs qui lui restent ne permettent pas de recréer une mythologie propre, un chemin précis, pas même la tristesse de pouvoir se branler vite fait une bonne fois pour toutes.»
Quant à la belle Marisol, elle a fui le père adoptif qui abusait d'elle. Depuis, ses amours n'ont pas été heureux, pour paraphraser le guitar hero moustachu de Sète. La faute à la malchance ou au destin ? Francis la retrouve avec un vieux parrain libidineux qui lui apporte la sécurité et le confort, faute de mieux ou de volonté. Une relation intéressée et pourrie par la suspicion et la tromperie, le dégout et l'insatisfaction, dont l'issue est prévisible. Il reste juste à savoir quand et comment...
« Il se rappelle la douleur, l'abandon total, le monde autour qui disparait. (...) Il se rappelle les tempes annonçant que sa tête allait exploser. Et les yeux, le nez, les poumons, la gorge, c'est plus qu'un câble en métal chauffé à blanc. Les coliques régulières. Cul et bouche : le cercle parfait et classique de la drogue. Il se rappelle le manque. Ne pas avoir l'argent pour se camer, ni pour arrêter. »
Le Barcelone de Carlos Zanon n'est pas au programme des tours opérateurs. C'est celui de la crise sociale, de la misère, des chômeurs et des retraités qui récupèrent les surplus alimentaires des supermarchés, des salles de jeux, de la débrouille, des petites frappes, des plans foireux, des espoirs toujours déçus et de la fête qui se termine forcément mal.
« Il est conscient de sa dégaine. Il porte ce qu'il a de mieux, mais ça ne suffit pas. La misère, c'est un truc qui colle à la peau; elle se voit à la peau malade, à la façon de marcher et de se déplacer, à la quantité incroyable de tics hérités de la rue. La douleur dans sa bouche réclame toutes son attention. Il faudrait qu'il fasse quelque chose. Ses gencives recommencent à saigner. »
J'ai été Johnny Thunders est un roman noir, très noir, et tragique. Une reprise rock'n'roll du mythe de Sisyphe...
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