Nos années sauvagesde Karen Joy Fowler 3,5/5 (03-05-2016)
Nos années sauvages (368 pages) est paru le 21 avril 2016 aux Editions Presses de la cité (traduction : Karine Lalechère).
L’histoire (éditer) :
Des parents, deux sœurs et un frère vivent heureux ensemble. Rosemary est une petite fille très bavarde. Sa sœur disparaît et son frère part. Alors, elle cesse de parler. Jusqu'à ce qu'elle se mette à raconter l'histoire de sa famille et celle de sa sœur Fern, un peu différente...
Mon avis :
Nos années sauvages est un livre particulier dont il est absolument indispensable d’en connaître le moins possible sur l’intrigue si ce n’est qu’il est ici question d’une héroïne (et narratrice) attachante particulièrement affectée par la perte de ses frère et sœur.
Lorsque le récit commence en 1996, Rosemary (qui préfère commencer par le milieu de son histoire) n’a plus vu son frère Lowell depuis 10 ans et sa sœur Fern depuis 17 ans. C’est de ces pertes dont il est question ici et, au-delà, des liens familiaux et fraternels qu’aucune différence ne peut abolir quand l’Amour est là. Je vais m’arrêter là pour ne pas entacher votre plaisir et vous priver de la stupéfaction face aux futures découvertes. Car Karen Joy Fowler joue bien avec l‘effet de surprise et manie les sentiments des uns et des autres avec force et finesse.
« D’avant, il ne me reste que des bribes de souvenirs réduits à l’essentiel, comme dans les contes de fées. Il était une fois une maison avec un pommier dans le jardin, un ruisseau et un chat aux yeux couleur de lune. En revanche, j’ai gardé des images d’une clarté suspecte de ce qui s’est passé après, au cours de mois suivants. Prenez n’importe quel souvenir de ma petite enfance et je pourrai vous dire aussitôt s’il date d’avant ou d’après la disparition de Fern. Je peux le faire parce que je me rappelle quel moi était là. Le moi avec Fern ou le moi sans elle. Deux personnes entièrement différentes. » Page 75
Racontée de façon décousue (sans pour autant faire preuve d’incohérence), l’histoire des Cook m’a fascinée, choquée et profondément touchée.
Fille d’un scientifique et prof d‘université, Rose est confrontée à un destin peu banal (même s’il semble, à cette époque, assez rependu et finalement pas si extraordinaire) qui va jouer sur son équilibre et celui de sa famille. Avec une précision presque scientifique (le travail de documentation est indéniable), Karen Joy Fowler nous livre une histoire marquante et déroutante qui pousse le lecteur à réfléchir sur des sujets tels que la fratrie, l’absence (et la perte), la culpabilité, le langage, la place de l’expérimentation et les conséquences de la recherche scientifique. On s’interroge sur la nécessité de certaines pratiques et sur le terme « d’humanité » qui perd là sa valeur première : la compassion.
« Sa disparition représentait un certain nombre de choses : la confusion, des sentiments d’insécurité et de trahison, un nœud inextricable de complications interpersonnelles. Mais c’était aussi une chose en soi. Fern nous avait aimés. Elle emplissait la maison de couleurs, de bruits de chaleur et d’énergie. Elle méritait d’être regrettée et nous la regrettions douloureusement. Personne en dehors de la famille ne semble avoir jamais vraiment compris cela. » Page 138
Si Nos années sauvages est un roman profond et fort (qui use heureusement d’une certaines points d’humour et d’ironie) il m’a paru par moment assez long et complexe. Sans pour autant être une lecture rébarbative, le plaisir n’a pas été linéaire et j’ai parfois même eu envie de sauter quelques pages. Néanmoins, l’auteure fait preuve ici d’un grand travail de recherche et, s’appuyant en grande partie sur des faits véridiques, elle confère à son histoire une crédibilité marquante.
Que l’on aime ou pas ce livre, on ne peut pas en ressortir indifférent (autant en ce qui concerne l’histoire des Cook que ce qu’aborde l’auteure à travers elle). J’ai été particulièrement émue par la relation Rose/Fern et très intéressée par toutes les questions liées au langage.
Ainsi, même si j‘ai trouvé l’ensemble assez long, je ne suis pas du tout déçue d’avoir lu Nos années sauvages. C’est un roman qui me restera longtemps en mémoire.