MONDE > "Panama Papers" : "Allo, ici John Doe"

Publié le 09 mai 2016 par Fab @fabrice_gil
On en parle moins… Et pourtant, le scandale reste planétaire. Des dizaines de dirigeants politiques, d'industriels et starlettes du sport dissimulaient leur argent dans les 214 000 sociétés offshore créées, à leur demande, par le cabinet d'avocats Mossack Fonseca. Un voyage en eaux troubles s’impose.

Photo d’illustration / AFP


Sacré coup de pied dans la fourmilière des riches et des puissants. Depuis le 4 avril dernier, la presse française et étrangère traite du sujet. Durant près d’un an, dans le plus grand secret, 107 médias ont mobilisé 378 journalistes, dans 77 pays, pour analyser une montagne de documents électroniques (11,5 millions), dérobés à Mossack Fonseca, cabinet d’avocats panaméen.Le "job" ? Offrir un anonymat aux particuliers ou aux entreprises désireux de dissimuler leurs biens et leur argent pour des raisons pas toujours avouables.Qui est vraiment sur les listes des Panama Papers ?Selon ces investigations, 12 chefs d’État et de gouvernement -dont six en fonction-, 128 responsables politiques et hauts fonctionnaires, des industriels et des starlettes du sport côtoient des trafiquants d’armes ou de drogue et des truands sur une liste que l’on peut qualifier de "grise", tous ceux qui y figurent n’étant pas forcément malhonnêtes. Parmi les propriétaires de l’une des 214 000 sociétés offshores créées par le cabinet Mossack Fonsecaentre 1977 et 2015, on a découvert des proches des présidents Vladimir Poutine et Bachar al-Assad. Mais aussi, des collaborateurs de Mohammed VI et d’Abdelaziz Bouteflika, les fils de Hosni Moubarak, de Kofi Annan ou de Denis Sassou Nguesso, le père de David Cameron, le neveu de Jacob Zuma et Sigmundur David Gunnlaugson, le Premier ministre islandais, qui a dû démissionner, le 5 avril, sous la pression de ses compatriotes. Les sociétés et les personnes citées dans ces Panama Papers jurent en chœur qu’elles ont agi en toute légalité. Il n’empêche : ces révélations éclaboussent tous les pays de la planète. Elles montrent que les places financières sont loin, très loin même, d’avoir atteint la transparence qu’on est en droit d’attendre d’elles. Pire, un anonymat propice à tous les trafics y règne en maître. L’ONG CCFD-Terre solidaire a calculé que, si tous les pays parvenaient à plus de transparence, 29 161 accords de coopération fiscale verraient le jour. Aujourd'hui, il y en aurait à peine 700…L’OCDE, à laquelle le G20 a confié la mission de nettoyer ces eaux troubles, se dit satisfaite de voir des administrations nationales échanger de plus en plus volontiers des informations sur l’identité et la fortune des détenteurs étrangers de sociétés offshore. "Les progrès sont réels, explique Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE. Depuis 2009, toutes les places financières se sont engagées dans cette voie, ce qui a permis de collecter plus de 50 milliards de dollars sur des avoirs offshore désormais déclarés. Reste à s’assurer que les pays en développement, en bénéficient, poursuit-il. Ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, à l’instar du Tchad, devenu son 135e État membre".
"Allô, ici John Doe"Fin 2014-début 2015, deux journalistes du Süddeutsche Zeitung, un quotidien munichois, reçoivent un coup de fil d’un mystérieux correspondant. "Allô, ici John Doe [pseudonyme souvent utilisé par les "lanceurs d’alerte"]. Êtes-vous intéressés par des données confidentielles ?" Devant leur réponse enthousiaste, "John" pose ses conditions : "Ma vie est en danger. Nous communiquerons de manière codée, sans jamais nous rencontrer". Les deux journalistes, Bastian Obermayer et Frederik Obermaier, certifient aujourd’hui que leur interlocuteur ne leur a jamais demandé d’argent et qu’il voulait seulement que les agissements délictueux soient rendus publics. "John" tient parole : 2 600 gigaoctets (mails, textes PDF, photos, données privées) parviennent au Süddeutsche Zeitung. Submergé, le quotidien allemand contacte au mois d’avril 2015 le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à Washington. Mais très vite, ses responsables s’aperçoivent que leur réservoir de journalistes disséminés dans 65 pays (190 professionnels) ne suffira pas. Ils se tournent vers d’autres confrères. Certains seront inquiétés durant leur travail d’enquête.Qui avait intérêt à faire éclater cette bombe ?Le mystérieux lanceur d’alerte souhaite garder l’anonymat. Rien de plus naturel, quand on sait que ses célèbres prédécesseurs, comme le cyber-militant australien Julian Assange, se sont attirés de graves ennuis judiciaires. Difficile de croire, cependant, à l’acte isolé d’un chevalier blanc. La valeur de ce butin informatique est telle qu’il paraîtrait logique qu’une organisation importante ait pris la décision de le livrer à la presse. Si les uns voient la main des gendarmes financiers de Washington, d’autres notent que ces révélations surviennent au moment où l’OCDE bataillait contre Panama pour tenter de faire plier le champion de la dissimulation. En France, il y aurait peu de chances que le pays soit éclaboussé par des révélations de type Panama, en tout cas pour le moment. Mais de riches industriels ne sont, eux, pas à l’abri. FG