J’ai eu le plaisir de travailler avec Flore-Agnès Nda Nzoa, une avocate genevoise passionnée de littérature. Présidente de l’association la CENE littéraire, cette femme entreprenante et fascinante a impulsé le projet d’avoir un stand au Salon du livre de Genève avec de multiples animations. Le clou de cette présence au Salon du livre de Genève a été la remise de deux prix littéraire récompensant l’engagement.
Hemley Boum, déjà lauréate du Grand Prix littéraire d’Afrique noire, a reçu de l’association La CENE littéraire, le prix du roman engagé pour son roman Les maquisards (Editions La Cheminante, 2015).
Commentaire du jury dirigé par le professeur Ambroise Kom, composé de Boubacar B. Diop, Théo Ananissoh, Eugène Ebodé et Hortense Sime
« A l’issue des délibérations, Les maquisards de Hemley Boum a emporté l’adhésion du jury. Nous avons ici affaire à un projet littéraire ambitieux. L’écrivaine revisite avec passion et volonté de fiction la lutte pour l’indépendance du Cameroun. L’immense travail de préparation en amont de ce livre force l’admiration. Si le sujet est la décolonisation dans un pays africain, Blancs et Noirs ne sont pas pour autant dressés les uns contre les autres, mais s’imbriquent par un jeu subtil où le fils d’un marin breton devient l’ami d’un héros bassa de la résistance. Vous l’aurez compris, le monde de Hemley Boum n’est pas en logique manichéenne. D’ailleurs, l’écrivaine camerounaise a clairement fait le choix d’un lectorat éclectique, pour preuve, son écriture vivante et robuste qui fédère les publics. C’est bien, étant donné l’universalité du sujet traité ».
Le professeur Bwemba Bong a obtenu le prix de l’engagement littéraire 2016 pour l’ensemble de son œuvre. Pour en savoir plus sur la production de cet enseignant et chercheur camerounais, n’hésitez pas à consulter sa bibliographie sur le site de la CENE littéraire.
A noter une dotation de chaque prix à hauteur de 3000 FCH et une œuvre d’art du peintre sénégalais Momar Seck estimée à 3000 FCH
Mongo Beti était présent par de grands portraits sur le stand de la CENE littéraire ou encore par la conférence animée par Théo Ananissoh avec le professeur Ambroise Kom et Odile Awala-Biyidi au Salon africain du livre, veuve de l’homme de lettres camerounais.
Mongo Beti en lettresDans le cadre d’un partenariat, Les palabres autour des arts et le blog Chez Gangoueus ont fait vivre sur ce stand les textes de Mongo Beti. De son second roman Le pauvre Christ de Bomba à Trop de soleil tue l’amour, avec Touhfat Mouhtare, Cédric Moussavou et moi-même, nous avons pu tester et valider la puissance de cet homme de lettres hors du commun. Je ne reviendrai pas sur Le Pauvre
Christ de Bomba, déjà chroniqué sur ce site, si ce n’est pour souligner l’extrême précocité et maturité de l’auteur dans ce roman qui critique de manière forte le système colonial dans ces différents terrains d’expression. C’est aussi une qualité d’écriture que l’on retrouvera dans Main Basse sur le Cameroun. Car si ce livre est un essai, la force de Mongo Beti est dans son exigence littéraire et son irrévérence vis-à-vis d’Ahidjo qui concentre l’essentiel des critiques de l’essayiste. Main basse sur le Cameroun est une prise de parole audacieuse dans les années 70 au moment où la presse de gauche française passe sous silence le procès d’Ernest Ouandié et de Monseigneur Ndongmo, évêque de Kongsamba. Touhfat Mouhtare souligne la dimension documentaire de l’ouvrage. C’est elle qui va présenter Remember Ruben où la figure de Um Nyobe est en toile de fond de ce roman dans lequel se meuvent des personnages au cœur de ce combat de l'Union des Peuples Camerounais. Et quand l’écrivain semble un peu moins présent dans son écriture comme dans le roman Trop de soleil tue l’amour, c’est son originalité qui est mise en avant, la musique qui prend une place singulière (ici le jazz) pour accompagner de intellectuel désabusé, personnage central de ce roman. Au sortir de ces lectures, je retiens qu'au-delà de ses positions engagées et de la constance de son discours sur les méfaits du colonialisme et du néocolonialisme français au Cameroun, Mongo Beti est avant tout une plume à découvrir, à re-découvrir. Une formidable plume engageante. Le professeur Ambroise Kom a apporté dans la seconde partie de la rencontre intitulée l'invité palabreur son regard sur le travail de l'écrivain et l'ami que fut Alexandre Awala-Biyidi, dit Mongo Beti
Mongo Beti et des héritiers. Les écritures engagées
Qu’est-ce qu’une écriture engagée ? C’est un peu la question à laquelle Les palabres autour des Arts voulaient répondre. Avec un peu de provocation. Il était intéressant de commencer par le prix du roman engagé 2016, Les maquisards. En mettant le doigt sur l'un des conflits les plus violents et les plus méconnus de l'espace francophone, par une oeuvre de fiction élaborée, profonde, Hemley Boum réussit à faire revivre les maquisards et les luttes d'indépendance non abouties. Elle réveille les consciences sur ce sujet, bouscule l'omerta. Avec Patrice Nganang, dans Temps de chien, c'est un appel à la révolte sociale. L'auteur camerounais par le regard d'un chien philosophe conte les petites vies des sous quartiers de Yaoundé. Avec un système dominant peu scrupuleux du quotidien des gens. La langue de Nganang colle au plus près de ces milieux populaires. Avec Mariama Ba et son roman, Une si longue lettre, l'engagement prend une forme moins politique pour traiter de la condition de la femme au travers d'une oeuvre majeure de la littérature africaine. Ici, la polygamie est abordée avec intelligence, profonde sous une forme épistolaire qui empêche d'être trop frontale. L'engagement, ne s'exprime-t-elle pas dans l'originalité d'un projet littéraire qui rend intemporel un propos, un sujet? On peut aisément penser que l'écrivaine sénégalaise a atteint cet objectif. Le livre qui a suscité le plus de réactions finalement est Ténèbres à midi pour deux raisons ou plutôt deux approches de lecture : ceux qui n'ont vu que le portrait extrêmement négatif que le narrateur de retour à Lomé, porte sur son pays. Un tel regard exprime selon cette lecture un afropessimisme qui ne peut en aucun cas s'inscrire dans une forme d'engagement... La seconde lecture se focalise sur les rencontres humaines faites par le narrateur et le portrait d'Eric Bamozon, un intellectuel rentré à Lomé pour servir son pays, qui va voir son destin écrasé par le système Eyadema. Théo Ananissoh propose une réflexion sur l'engagement des élites déterminées à penser et agir pour un changement significatif face à un pouvoir, dans le style minimaliste qui caractérise son écriture. Est-ce que le cahier d'un retour au pays natal d'Alain Mabanckou est une oeuvre engagée? Il est probable que pour l'auteur congolais, chantre des textes engageants pour reprendre Sony Labou Tansi, la question ne se pose pas. Engagé ou pas, nous avons eu une divergence avec Cédric Moussavou sur ce point. Mais peut-être faudrait-il prendre le texte de Mabanckou dans le corpus des oeuvres littéraires congolaises significatives pour mesurer le niveau d'engagement de ce texte. En travaillant sur des portraits de famille, les misères de celles-ci, Mabanckou s'implique lui-même tout en nous parlant d'une ville pétrolière dont on a dû mal, au travers de la description faite, à voir un semblant de redistribution des richesses. Le regard posé sur l'hôpital A. Sicé, mouroir redouté par la population est assez éloquent. L'engagement ne commence-t-il pas quand le refus de se taire même sur la misère de sa propre famille qui au final n'est qu'une représentation du vécu de nombreux congolais? Lumières de Pointe-Noire.