La lecture du Journal de bord d’un stagiaire en philosophie pour enfants sur le site de la Philosophie pour enfants à l’Université Laval, que je vous recommande vivement, vient de jouer un rôle déclencheur pour mettre un terme à ma procrastination concernant la reprise d’écriture sur ce blog.
Le troisième et dernier trimestre de l’année scolaire vient de démarrer, ce qui signifie le renouvellement de groupes d’enfants pour mes ateliers d’éveil à la philosophie se déroulant à Paris dans le cadre de l’Aménagement des Rythmes Éducatifs. C’est l’occasion à la fois de lancer une série d’articles pour partager avec vous mon expérience dans l’animation de ces ateliers et de prendre le temps pour moi d’initier un travail d’analyse de pratiques en lien avec le travail de recherche que je dois réaliser dans le cadre du DU en philosophie pratique de l’éducation suivi au Centre de Recherches interdisciplinaires.
J’ai pris connaissance cette semaine avec mon nouveau groupe d’ateliers philo du mardi. Le groupe se constitue de 13 enfants, mélangés du CP au CM1, parmi lesquels une enfant a déjà participé à un trimestre d’ateliers philo l’année dernière. Je me souviens d’ailleurs bien de cette enfant, qui était, de mon point de vue, celle qui avait posé tout au long du cycle les questions les plus philosophiques et disait pourtant (ou peut-être justement ?) à la fin du cycle n’être toujours pas sûre d’avoir compris ce qu’était une question philosophique.
La première séance d’un cycle est toujours l’occasion pour moi de mettre en place quelques bases qui me semblent nécessaires au bon déroulement des ateliers philo.
Depuis cette année, j’ai décidé de ritualiser le début des ateliers par un temps de méditation et une chanson. Durant le temps de méditation (très court – 1 à 2 minutes), qui commence au son du carillon, chacun est invité à prendre le temps de se poser et d’être présent à son corps, à ses émotions et à ses pensées. Chercher à instaurer un cadre de bienveillance collective ne peut, à mon sens, se passer d’un moment de bienveillance pour soi, si précieux dans ces longues journées de vie collective que traversent les enfants. La chanson permet ensuite de mettre de l’énergie dans le groupe tout en rappelant ludiquement les règles générales de l’atelier.
Voici les paroles que j’ai inventées :
Aujourd’hui, c’est l’atelier de philosophie !
Pendant cet atelier, nous allons apprendre à penser
et il y a quelques règles à respecter :
- tout le monde a le droit de s’exprimer
- et surtout tout le monde a le droit d’être écouté,
- toute idée peut être discutée
- mais personne n’a le droit de se moquer
- car tout le monde a le droit au respect.
Bon atelier !
Après ces deux petits rituels, j’ai présenté le bâton de parole et nous avons fait un jeu de présentation : à la manière d’un cercle de parole, chacun à son tour, y compris moi, était invité à prendre en main le bâton de parole et dire son prénom, une chose qu’il aime bien faire dans la vie et une qualité. Ce jeu permet une première prise de connaissance des participants et surtout met en place un cadre où chacun peut trouver sa place dans le groupe en s’exprimant tout en étant écouté. Deux éléments m’ont marqué pendant ce jeu. Le premier élément marquant est qu’une majorité d’enfants ne savait pas ce que signifiait le mot « qualité » et une fois défini, à la fois par une enfant (B., CM1) et moi, comprenait sa signification mais ne savaient quelle était leur qualité particulière, n’en n’ayant pas conscience. Le deuxième élément marquant est un enfant (É., CE2) qui a dit que ce qu’il aimait était la sagesse. Tiens donc !
Après ce jeu de présentation, nous avons fait une lecture partagée de l’affiche des règles et sanctions, qui s’inspirent de l’excellent guide Graines de médiateurs écrit par l’Université de Paix. Nous avons brièvement discuté du besoin de règles pour vivre-ensemble et du concept de « réparation » relatif aux sanctions. Chaque enfant a écrit son prénom sur l’affiche des règles et sanctions et moi aussi.
Ensuite, je leur ai présenté la philosophie en leur parlant de son origine antique grecque, de Socrate et de sa conception de la philosophie comme maïeutique, c’est-à-dire art de faire accoucher l’esprit. É. a profité ce moment de présentation de la philosophie pour partager sa connaissance sur la signification étymologique du mot philosophie, à savoir l’amour de la sagesse. Le fait qu’il se soit présenté en disant qu’il aimait la sagesse n’était pas anodin !😉
Puis, j’ai expliqué que nous allions pratiquer la philosophie sous forme de Communauté de Recherche Philosophique. Ils ont pu définir par eux-mêmes ensemble les mots « communauté » et « recherche ». Pour comprendre le mot « philosophique », nous avons fait le « jeu des questions ». Ce jeu vise à distinguer différents types de questions et reconnaître ce qu’est une question philosophique. J’ai créé ce jeu en m’inspirant d’une fiche activité de Brila. Sur des petits papiers, j’ai écrit toute sorte de questions (« Qu’est-ce qu’une bonne éducation ? », « Combien de temps as-tu le droit de regarder les dessins animés ? », « Pourquoi certaines plantes ont-elles besoin de plus d’eau que d’autres ? » etc.) et je les ai tous placés dans une enveloppe. Le principe du jeu est le suivant : chacun à son tour pioche un petit papier, lit la question à haute voix et doit examiner si la question est philosophique ou non en réfléchissant au processus à mettre en œuvre pour répondre à la question, les autres pouvant aider et compléter la réponse à chaque fois. Avant de commencer le jeu, les enfants ont demandé des exemples. J’ai donc dû expliquer, à leur demande, à travers des exemples la distinction entre question philosophique, question scientifique et question ni philosophique, ni scientifique. Je pense que cette explication s’est avérée aidante pour eux mais je me demande s’ils ne pourraient pas se passer de l’explication de l’adulte pour comprendre cette distinction. Cela m’interroge sur les limites de la rupture de la posture de l’adulte comme « sachant explicateur » dans l’animation des ateliers philo. Après que chaque enfant ait tiré son petit papier, les enfants voulaient que je tire un petit papier et je joue moi aussi. À vrai dire, je ne m’attendais pas à cette demande mais je la trouvais bienvenue. Elle découlait à mon avis de ma posture adoptée au moment du jeu de présentation et de la « signature » des règles. Malheureusement, je n’ai pas pu tirer de petit papier, non pas parce que je ne voulais pas me mettre moi aussi dans le rôle de participante au jeu mais parce qu’il était déjà l’heure et que nous allions être en retard pour la sortie d’école. Pour compenser cela, je pense que je tirerai un petit papier en début de séance prochaine à la fois pour leur montrer que je n’ai pas oublié leur demande et pour le rattrapage express pour les 2 enfants absents de cette première séance. Ce « jeu des questions » m’a permis de sentir une première hétérogénéité de niveau des enfants concernant leur habileté à argumenter leur réponse mais j’ai l’impression qu’ils ont tous cerné la spécificité des questions philosophiques. Je pourrais vérifier cela la semaine prochaine au moment de la première « cueillette de questions »…
À suivre au prochain épisode !